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appel de Louis XIV; elle ne semblait pas comprendre le grand et loyal effort que le roi de France avait dû faire sur lui-même pour se décider à une nouvelle démarche et pour tendre à Léopold une main si souvent repoussée. Elle ne comprenait pas davantage qu’en refusant non-seulement d’accepter le traité de partage, mais même de l’examiner, elle le frappait définitivement de caducité et risquait de rendre à Louis XIV une liberté qu’il avait spontanément consenti à enchaîner. Elle comptait sur la guérison du roi d’Espagne!

Charles II était mort depuis trois jours, quand cette phrase malencontreuse fut écrite. Mais on l’ignorait à Vienne ; la fatale nouvelle ne parvint que le 18 novembre dans la capitale de l’Autriche et troubla singulièrement la quiétude qui y régnait. La véritable teneur du testament y causa un effarement général. Le conseil tint séance trois jours de suite, déclara que le testament était nul comme contraire à celui de Philippe IV, décida qu’il fallait protester auprès de toutes les cours, agir auprès du pape, et enfin, traiter avec la France, « ne fût-ce que pour gagner du temps. » Mais le moment des négociations était passé ; les événemens se précipitaient avec une rapidité que le lent formalisme du conseil avait peine à suivre ; on apprenait coup sur coup l’ouverture du testament, son acceptation par Louis XIV, la mémorable scène de Fontainebleau, la proclamation du duc d’Anjou, l’adhésion de tous les vice-rois au nouveau règne, le prochain départ de Philippe V pour ses états; en même temps, l’Angleterre et la Hollande insistaient pour l’acceptation immédiate du traité de partage et laissaient entendre que leur concours était à ce prix. Le conseil fut obligé de reconnaître qu’il s’était trompé ; la vérité se fit jour ; elle éclata dans cette phrase révélatrice, que nous extrayons du rapport fait à l’empereur après la séance du 27 novembre et qu’il nous suffira de traduire pour achever d’édifier le lecteur sur l’esprit qui a inspiré le gouvernement impérial pendant tout le cours de cette longue négociation : « On a espéré de tout temps que, la France refusant la succession d’Espagne et s’en tenant au traité de partage, le gouvernement et le peuple espagnols reconnaîtraient leur erreur et reviendraient d’eux-mêmes à Votre Majesté et à sa glorieuse maison... On a de même espéré que l’Angleterre et la Hollande reprendraient leurs anciens liens avec Votre Majesté... Il faut reconnaître que tout cela manque et que Votre Majesté est réduite à faire presque seule, avec peu ou point d’alliés, la guerre non-seulement à la France, mais à l’Espagne et à l’Italie. »

Le dépit de l’erreur commise et le sentiment du danger rendirent à la cour de Vienne une activité qu’elle semblait avoir perdue. Les démarches diplomatiques furent multipliées pour chercher des alliés, susciter des ennemis à la France, créer des embarras au gouvernement