Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/319

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans les esprits faibles et ne leur laisse voir qu’un côté des questions. Léopold se jetait, les yeux fermés et de gaîté de cœur, dans la guerre, sans mieux en peser les conséquences qu’il n’en discernait les causes. La guerre devait durer douze ans, amener d’effroyables malheurs et donner à sa maison, malgré des succès militaires inespérés, des résultats inférieurs à ceux que lui assurait le traité. L’histoire impartiale lui laissera la responsabilité du sang versé inutilement : elle saura gré à Louis XIV de ses efforts pacifiques, de la violence qu’il dut faire à son caractère et à ses habitudes pour les concevoir, les multiplier et les poursuivre.

Le refus de l’empereur frappait de caducité le traité de partage avant même qu’il pût être appliqué. Conçu en vue de la paix, il ne répondait pas à l’état de guerre. Aussi Louis XIV, tout en s’efforçant encore d’en sauver les dispositions, songea-t-il à ne pas se laisser surprendre par les événemens. Il commença à prêter l’oreille aux offres espagnoles et à prendre des mesures militaires ; il massa un corps d’armée sur les Pyrénées et en donna le commandement à Harcourt, qui brûlait du désir de réparer par l’épée les échecs supposés de sa diplomatie. En même temps, le roi chargea Villars de faire savoir à la cour impériale qu’il considérerait comme une déclaration de guerre tout envoi de troupes dans les provinces espagnoles. Villars se tira de cette délicate mission avec tact et fermeté ; il obtint de l’empereur une déclaration qui, en donnant au roi toute sécurité, ne froissait aucune susceptibilité ; les deux souverains s’engageaient réciproquement à ne pas toucher aux territoires espagnols du vivant de Charles II. La formule était heureusement trouvée : Villars s’en attribua, à tort ou à raison, le mérite; c’était son premier succès diplomatique, il était excusable de s’en exagérer l’importance. Longtemps après, il en parlait avec complaisance; l’incident s’était, dans ses souvenirs, grossi avec les années ; dans les Mémoires qu’il écrivait vingt ans plus tard, il a pris les proportions d’un événement de premier ordre, qui a décidé du sort de l’Espagne et de l’Europe.

Les destinées de l’une et de l’autre se décidaient alors, non à Vienne, mais à Madrid, et sans aucune intervention de la diplomatie française. Le sentiment espagnol s’exaltait : Porto Carrero le soutenait et le dirigeait avec habileté et patriotisme ; l’avènement d’un petit-fils de France apparaissait de plus en plus comme le salut de la monarchie ; le seul obstacle venait des refus présumés de Louis XIV. Harrach exploitait avec activité l’adhésion du roi de France au traité de partage, et s’efforçait de décourager les espérances nationales. Porto Carrero fit une dernière et pressante demande auprès du roi afin de lui arracher son consentement. Louis XIV, qui commençait à désespérer du traité de partage, mais