Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/314

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

repoussait un arrangement auquel l’empereur refusait de souscrire : le mot de guerre avait même été prononcé ; le roi des Romains l’avait jeté au milieu de la discussion, comme la ressource suprême de l’honneur compromis et des intérêts méconnus.

C’est dans ces conditions que Villars fut officiellement chargé de l’ingrate mission que nous avons déjà indiquée, celle de communiquer à l’empereur le texte même du traité de partage et de solliciter son adhésion.

Les ordres du roi étaient datés du 6 mai 1700. Ils étaient accompagnés d’une longue dépêche, modèle de précision, de modération, de prudence, de force contenue. Louis XIV y développait dans un magnifique langage les raisons qui l’avaient porté à abandonner partiellement les droits de son fils et à renoncer à se servir, pour les soutenir, des forces dont chacun savait qu’il pouvait disposer; il avait voulu éviter à ses peuples et à l’Europe les horreurs d’une nouvelle guerre; si l’empereur accédait au traité, la redoutable question de la succession d’Espagne serait réglée sans effusion de sang. Le roi faisait un éloquent appel à la prudence et à la piété de Léopold; il ne pouvait pas croire que l’empereur préférât les événemens incertains d’une guerre et les malheurs qui en sont inséparables à un arrangement raisonnable et équitable; il le conjurait de l’accepter sans délai.

Villars composa avec les termes mêmes de la dépêche du roi, en atténuant seulement quelques expressions, un discours qu’il tint à l’empereur le 18 mai au soir ; il lui remit en même temps la copie du traité de partage. Léopold répondit à cette communication en termes généraux, protestant de son intention de vivre en bonne intelligence avec le roi, rappelant la modération qu’il croyait avoir montrée depuis un an, pendant les négociations de Hop avec ses ministres, insistant sur les longs délais qu’exigeait l’examen d’une matière aussi importante.

Harrach et Kaunitz, que Villars vit après l’audience impériale, furent moins réservés ; ils ne dissimulèrent pas leur mauvaise humeur. Le premier s’exprima en termes très vifs sur le compte de ces alliés de la veille, si prompts à disposer du bien d’autrui, de ces marchands d’Amsterdam qui se mêlaient de donner des fiefs de l’empire. Kaunitz montra le ciel en disant : « Il y a quelqu’un là-haut qui travaillera encore à ces partages. »

Le conseil fut immédiatement convoqué ; il tint plusieurs conférences consécutives; la question fut examinée sous toutes ses faces; ses inconvéniens furent analysés; divers systèmes furent discutés; la préoccupation qui domine ces délibérations confuses est celle de rompre l’alliance conclue entre la France et les puissances maritimes, et de ne rien faire qui pût altérer les bonnes dispositions du