Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/303

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

écarté les séduisantes tentatives dont Harcourt s’était fait l’organe, pour écouter les sages conseils de Tallard. La négociation reprise n’avait plus été interrompue, elle avait abouti au premier traité de partage, signé le 25 septembre, qui attribuait la couronne d’Espagne au prince électoral de Bavière et partageait les possessions italiennes de l’Espagne entre l’Autriche et la France.

C’était pour Guillaume d’Orange un grand succès : il avait fait capituler le grand roi et prévaloir les intérêts maritimes et commerciaux de l’Angleterre et de la Hollande ; il avait mis une singulière âpreté à les défendre. Sa loyauté envers Louis XIV n’avait pas été moindre : il n’avait rien laissé deviner ni à l’Autriche, dont il trahissait la cause, ni à l’Espagne, dont il disposait sans titre et sans son aveu. Sa discrétion avait été telle, que ni Goes ni Auersperg, les envoyés impériaux en Hollande, ni Hoffmann, envoyé à Londres, n’avaient rien soupçonné de ce qui se tramait à côté d’eux ; ils avaient bien remarqué les allées et venues de Tallard, les conférences tenues à Loo, mais ils n’en avaient pas pénétré le motif. La cour d’Espagne fut plus rapidement renseignée : dès le 7 octobre, elle était informée de l’existence du traité, et, dès le 14 elle y répondait, ab irato, par le testament que Charles II signait en faveur du prince électoral de Bavière. Harrach, en apprenant cette résolution, qui déjouait tous ses calculs, en fut tout désorienté : il avoua à Harcourt qu’il ne restait d’autre ressource à l’empereur que de s’entendre avec Louis XIV et qu’il lui écrivait en ce sens.

Les communications étaient lentes entre Madrid et Vienne, les dépêches d’Harrach ne parvinrent à la cour qu’à la fin de décembre ; elles y causèrent un émoi facile à comprendre, mais dont on sut habilement cacher l’expression. Villars ne se douta de rien. Cependant des informations venues de Hollande et d’Angleterre dans le courant de janvier, confirmèrent les rapports d’Harrach ; l’existence du traité de partage ne pouvait plus être mise en doute, mais ses termes exacts étaient encore inconnus. L’embarras du conseil aulique était extrême, il ne savait à quel parti s’arrêter ; espérant obtenir au moins quelques lumières et se renseigner sur les dispositions de la France, il résolut de sonder Villars, et Kinsky fut chargé de le faire parler.

Kinsky aborda Villars, le 22 janvier 1609, dans l’antichambre de l’empereur, lui exprima le grand désir qu’avait son souverain de vivre en bonne intelligence avec Louis XIV, fit des allusions éloignées aux négociations de la France, essaya d’amener la conversation sur la succession d’Espagne. Villars, qui ne savait rien, put, en toute sûreté de conscience, protester des bonnes intentions de son souverain ; mais, entre ces deux interlocuteurs, dont l’un était mal renseigné et l’autre ne Tétait pas du tout, la