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accueillant comme la plupart des princes de la maison d’Autriche, il ne savait ni réprimer une faute, ni écarter une sollicitation : cette faiblesse se compliquait d’irrésolution ; se défiant de lui-même et des autres, il hésitait toujours à conclure ; pour se soustraire à l’effort de la décision, il s’en remettait à la Providence du soin de ses intérêts, attendant volontiers de sa bonté « le miracle » que des prophéties colportées en famille promettaient à la maison impériale. Sa piété couvrait sa lenteur d’esprit ; elle donnait, en outre, à toute sa vie une gravité et une sérénité qui lui permirent de traverser sans trouble les poignantes alternatives de revers et de succès qui signalent son long règne. Passionné pour la chasse, ayant le goût des arts et des divertissemens littéraires, il ne sacrifiait pas facilement ses distractions favorites. Il était, d’ailleurs, appliqué au travail, esclave du devoir, et voulait tout voir par lui-même; mais son intervention retardait plus qu’elle ne l’aidait l’expédition des affaires. En résumé, il avait les vertus de l’homme privé plutôt que les qualités du souverain.

Son fils aîné, l’archiduc Joseph, roi des Romains, tenait de sa mère, l’impératrice Éléonore de Neubourg, une nature plus décidée, mais un tempérament emporté. Ses bonnes qualités, ses facultés intelligentes étaient gâtées par une violence de caractère qui rendait son commerce difficile et embarrassaient souvent son père. Villars raconte « l’avoir vu accabler ses pages de coups de poing devant toute la cour : l’empereur détournait les yeux pour ne pas le voir. » La chasse était son occupation principale : il courait le lièvre dans le Marchfeld, poursuivait le cerf, l’ours dans les montagnes de l’Autriche ou de la Hongrie, recherchant le danger, faisait preuve d’adresse et de vigueur ; ses courtisans renonçaient à le suivre. Cette activité corporelle nuisait aux affaires, pour lesquelles il montrait peu de goût, mais elle le préparait à la guerre, qu’il paraissait aimer.

L’archiduc Charles, le second fils de l’empereur, celui auquel il destinait le trône d’Espagne, n’avait alors que dix-sept ans ; il ressemblait à son père, tenait de lui des qualités aimables, le goût de l’étude et de la paix. Il n’était mêlé en rien aux affaires et était encore sous la direction de son gouverneur, ou ajo, le prince Antoine de Liechtenstein. Celui-ci joignait au culte de l’étiquette, qui rentrait dans ses attributions, la haine de tout ce qui était français; ce sentiment lui était inspiré non-seulement par la rivalité des deux cours, mais par des rancunes de famille : la sœur de sa femme était cette jolie demoiselle de Löwenstein, que la dauphine avait amenée en France et que le roi avait mariée à Dangeau. Le prince Liechtenstein ne pardonnait pas à la cour de Versailles cette grave