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la publication des documens conservés dans ce riche dépôt. Enfin, un jeune écrivain, enlevé trop totaux lettres sérieuses, C. de Noorden, dans les premiers volumes du grand travail qu’il comptait consacrer à l’histoire de l’Europe au XVIIIe siècle, a serré de près la question qui nous occupe : après avoir consciencieusement étudié les archives de toutes les capitales[1], il est arrivé à cette conclusion, qu’étranger à la rédaction du testament de Charles II, Louis XIV ne pouvait faire autrement que de l’accepter. Rappelons enfin que Torcy, l’habile et consciencieux interprète de la pensée royale, a toujours repoussé la paternité du testament, même en écrivant ses mémoires, à une époque où il avait tout intérêt à en revendiquer l’honneur. Saint-Simon et Voltaire ont appuyé son témoignage de leur autorité : Mignet et son continuateur M. Reynald l’ont confirmé, alors que MM. S. de Grovestins et Hippeau le contestaient. Mais les affirmations de ces honorables écrivains ne sauraient prévaloir contre les textes, contre un ensemble de preuves aussi complet, présenté par des autorités historiques aussi considérables. Nous osons croire que le lecteur partagera notre avis s’il veut prendre la peine de lire jusqu’au bout le rapide résumé que nous allons lui soumettre.

« La succession d’Espagne, a dit Mignet, fut le pivot sur lequel tourna presque tout le règne de Louis XIV. » Elle était devenue la principale préoccupation du grand roi ; le souci qu’elle lui causait, le sentiment qu’il avait de la fin prochaine de Charles II contribuèrent, autant que sa modération naissante, à la rapide conclusion de la paix de Ryswick. Il voulait sa liberté d’action et s’empressa de s’en servir. A peine le dernier acte du traité signé, il se mit à l’œuvre, sans délai et sans relâche. Son ambition était de régler cette importante question, non par la guerre, mais par la diplomatie. Le grand revirement qui s’était opéré dans son esprit ne saurait être mis en doute. Rassasié de gloire militaire, il était arrivé à l’âge où les fumées de la victoire et l’éclat des lauriers ne suffisent pas à aveugler sur les effroyables maux de la guerre : les souffrances du peuple étaient profondes ; l’écho de ses plaintes avait percé l’atmosphère artificielle de Versailles et pénétré jusqu’au roi, dont il avait ému le cœur paternel ; le roi voulait la paix, et l’influence croissante de Mme de Maintenon soutenait sa volonté avec une efficacité que les agens étrangers eux-mêmes constatent dans leurs rapports. Louis XIV ne tenait d’ailleurs, ni pour lui, ni pour aucun des siens,

  1. Noorden a entr’autres étudié les archives du Grand Pensionnaire Heinsius, mises à sa disposition par le jonkheer van der Heim, possesseur aussi libéral qu’éclairé de cette importante collection.