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toutes ces combinaisons, que M. de Bismarck se plaît à nouer et à dénouer de sa forte main. Il est cependant trop expérimenté, trop avisé dans sa diplomatie pour se laisser entraîner au-delà de ses vrais intérêts, et même pour ne pas refuser d’acheter des avantages problématiques par des concessions périlleuses. Il a de la patience, l’art des temporisations habiles ; il a aussi de la modération, et c’est ainsi qu’il vient souvent à bout de bien des difficultés dans sa vie intérieure comme dans ses affaires extérieures. C’est ainsi qu’il a fini par avoir raison d’un incident assez délicat qui aurait pu devenir dangereux et troubler la bonne intelligence entre l’Autriche et la Hongrie.

Ce n’est pas seulement en France qu’on élève force statues et qu’on fait des discours. On a élevé, il y a déjà bien des années, à Budapesth une statue en l’honneur d’un officier mort en défendant la citadelle, pendant la guerre de 1849, contre les honveds de Gœrgey, et il y a quelque temps, dans une cérémonie de commémoration, le commandant militaire, le général Jansky, se laissait aller à prononcer des paroles qui étaient peut-être d’un soldat plus que d’un diplomate, qui dans tous les cas, éveillaient toutes les susceptibilités hongroises. Aussitôt les plus vives, les plus bruyantes manifestations se produisaient à Pesth. Non-seulement on manifestait dans les rues, mais dans les chambres, le gouvernement était interpellé, et le président du conseil, M. Koloman Tisza, se tirait d’affaire de son mieux en livrant un peu le général Jansky, en appelant à son aide l’opinion d’un autre chef, du commandant des honveds, le général d’Edelsheim-Giulay. C’était une sorte de conflit entre l’esprit militaire et l’esprit national hongrois. L’empereur François-Joseph, qui est jaloux de l’honneur et de la discipline de son armée, qui a aussi le plus sincère esprit de conciliation, ne s’est pas laissé émouvoir. Il a refusé de sacrifier le général Jansky ; il lui a accordé, il est vrai, un congé de circonstance, mais en l’élevant au grade de général de division, et il a saisi la première occasion de mettre à la retraite le commandant des honveds, le général d’Edelsheim-Giulay, qui a été remplacé par un Croate, le général Pejasevics. Plus que jamais les manifestations ont recommencé ; on a accusé le ministre de la guerre, de Vienne, d’une hostilité systématique contre l’armée nationale de Hongrie. Le chef du cabinet, M. Tisza, s’est trouvé dans la position la plus délicate, et un instant même on lui a prêté l’intention de dénouer la crise par une démission qui aurait tout compliqué. On s’est fort heureusement arrêté dans cette voie. M. Tisza s’est conduit en habile politique en allant exposer tout simplement la vérité à l’empereur, et l’empereur s’est conduit en souverain prudent, en écrivant au président du conseil de Pesth une lettre où, en expliquant les changemens qui ont été accomplis dans le commandement militaire par des raisons de service, il désavoue toute intention offensante pour les Hongrois. La lettre impériale a guéri une