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eux qu’un polisson. Les étrangers se sont montrés plus justes. S’il le trouve inférieur au style de Corneille et de Racine, et très inférieur, cependant M. John Morley les compare; il n’y a pas encore quinze ans que Strauss vantait, dans Jules César et jusque dans Rome sauvée, « l’éloquence du poète et l’énergie de sa langue; » et Vinet, sans se faire d’illusion sur les défauts du style de Voltaire, ne laissait pas de le trouver admirable, c’est son mot, « pour l’abondance, l’abandon, la manière aisée et noble.» C’était aussi, ai-je besoin de le rappeler? L’opinion des contemporains de Voltaire, l’opinion de Geoffroy lui-même, qui, ne voyant d’ailleurs dans Alzire qu’un « amas de folies, » cependant y louait encore « la magie du style ; » c’était l’opinion de La Harpe; c’était l’opinion de Marmontel, qui, plus subtil que tous les autres, percevait des différences entre le style redondant et diffus de Tancrède, et « la belle versification » de l’Orphelin de la Chine. Et, au fait, si l’on n’a pas trop vanté la prose de Voltaire, cette élégance dans la simplicité, ce naturel, cette aisance, il serait surprenant qu’il n’en eût rien passé ni n’en demeurât rien dans ses vers. Dans ses tragédies romaines, le style de Voltaire est autant au-dessous de celui du vieux Corneille que de celui de Racine dans ses tragédies d’amour; mais il ne manque pour cela ni d’aisance, ni de force au besoin, ni d’éclat, ni de charme. Il y a plus que de l’agrément, il y a de la tendresse et de la volupté dans Zaïre; il y a de l’éloquence dans Brutus, dans Jules César, dans Alzire, dans Mérope; et dans les vers croisés de Tancrède,


Lorsque les chevaliers descendront dans la place
Vous direz qu’un guerrier, qui veut être inconnu.
Pour les suivre au combat dans leurs murs est venu,
Et qu’à les imiter il borne son audace ;
……………..


j’entends sonner comme un bruit de fanfares dont l’harmonie plaît encore à l’oreille.

Mais ce que ce style a surtout contre lui, c’est de sentir trop l’homme de lettres, l’homme de lettres du XVIIIe siècle, l’imitateur de Corneille, de Racine, de Quinault, d’être en deux mots trop composite, et, comme tel, étrangement affecté. Voltaire fait des vers français comme nous faisions jadis des vers latins, avec des épithètes et des périphrases, — et quelles périphrases ! — les yeux fixés sur les « modèles, » qu’il pille adroitement, pour les mieux imiter et les honorer en même temps. Sa mémoire est pleine de réminiscences; il sait Corneille et Racine par cœur; il tâche à leur dérober ce qui les fait applaudir du parterre ; il y croit réussir en traduisant après eux les « beautés » de Sophocle ou d’Euripide sur la scène française. Et comme