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multiplier sur toute la surface du territoire des associations de tous genres, grandes ou petites, d’utilité ou d’agrément, qui s’administrent à leur plaisir et savourent les douceurs du self-government. La nation sait fort bien que la république ne pourrait être remplacée, provisoirement du moins, que par un régime de compression à outrance. Elle aurait beaucoup de peine à renoncer à ses nouvelles habitudes, et il se mêlerait de la colère à ses regrets.

Mais, en même temps, fidèle à ses vieilles traditions et soucieuse de sa grandeur, elle désire que son gouvernement, sans avoir l’humeur tracassière, ait de la volonté, de la consistance, du poids, de l’autorité au dedans et du prestige au dehors, qu’il se fasse reconnaître à ses allures et à son langage comme le gouvernement d’un grand pays. Il lui déplaît que ceux qui dirigent ses affaires soient les humbles serviteurs d’un parti, dont ils achètent les complaisances par leurs perpétuelles concessions, que leurs soins se bornent à prolonger leur existence toujours contestée, qu’ils considèrent la politique comme l’art de décliner les responsabilités, qu’ils se croient tenus de ne rien refuser aux plus absurdes de leurs amis. Leur demande-t-on la lune, ils font bien quelque difficulté de la promettre : « Une lune tout entière ! y pensez-vous ? où la prendrais-je? Mais une moitié de lune, je ne dis pas, c’est une chose à voir. Vraiment, si vous. étiez raisonnable,. vous vous contenteriez d’un demi-quart de lune. » La France exige que ses hommes d’état aient le courage de dire non et que leur fierté lui réponde de la sienne. Elle ne leur tient pas compte des cruels embarras qu’elle leur cause en élisant des chambres où il n’y a point de majorité; c’est à eux de s’en tirer comme ils pourront. Elle veut être libre et elle veut être gouvernée; si elle venait jamais à se convaincre qu’il y a quelque contradiction dans son double désir et de la témérité dans son rêve; qu’elle doit faire son choix, elle le ferait à contre-cœur, et il lui en coûterait de découvrir qu’après avoir renoncé à plus d’une chimère, une injuste destinée la condamne à tailler encore dans son bonheur.

Ceux qui se flattent de la consoler de tout par des phrases, par de grands mots, par des déclamations, connaissent mal leur temps et leur monde. Quand les déclamateurs ont une belle prestance et une belle voix, elle les écoute avec plaisir. Elle a des yeux et des oreilles d’artiste; elle a toujours aimé les beaux musiciens, les basses profondes et la voix d’argent des ténors. Mais, après les avoir applaudis, elle ne tarde pas à rentrer en elle-même; elle se défie de leurs sortilèges, de ses émotions et de ses entraînemens. On a dit plus d’une fois que, sous peine de placer son bonheur plus bas que lui-même, un peuple ne peut se passer d’enthousiasme, que l’imagination a besoin, elle aussi, qu’on soigne un peu son bonheur dans ce monde, « qu’il est fâcheux de n’avoir qu’un peu de cet esprit qui sert