Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à un faisceau vivant qu’on ne pourrait rompre, à un anneau lumineux qu’on ne pourrait ni diviser, ni éteindre. L’atome, a-t-on dit, est « inviolable ; » la conscience finirait, elle aussi, par être inviolable de fait comme elle l’est de droit.

Le foyer secondaire de chaleur et de lumière vitale serait même devenu plus important, que le foyer primitif, si bien qu’une sorte de substitution graduelle pourrait se faire de l’un à l’autre ; la mort ne serait que cette substitution, et, de plus en plus, elle s’accomplirait sans secousse. Nous nous sentirions entrer et monter dès cette vie dans l’immortalité de l’affection. Ce serait une sorte de création nouvelle. La moralité, la religion même n’est, selon nous, qu’un phénomène de fécondité morale, l’immortalité serait la manifestation ultime de cette fécondité. Alors on verrait disparaître, dans une synthèse finale, cette opposition que le savant croit apercevoir aujourd’hui entre la génération de l’espèce et l’immortalité de l’individu. Si on ferme les yeux dans la mort, on les ferme aussi dans l’amour, et l’amour pourrait devenir fécond jusque par-delà la mort.

Le point de contact serait ainsi trouvé entre la vie et l’immortalité. A l’origine de l’évolution, dès que l’individu s’engloutissait dans la mort, tout était fini pour lui, l’oubli complet se faisait autour de cette conscience individuelle retombée à la nuit. Par le progrès moral et social, le souvenir augmente toujours tout ensemble d’intensité et de durée ; une image survit au mort qui ne s’efface que par degrés, meurt plus tardivement. Le souvenir des êtres aimés, en augmentant de force, peut finir un jour par se mêler à la vie et au sang des générations nouvelles, passant de l’une à l’autre, rentrant avec elles dans le courant éternel de l’existence consciente. Ce souvenir persistant de l’individu serait un accroissement de force pour l’espèce ; car ceux qui se souviennent savent mieux aimer que ceux qui oublient, et ceux, qui savent mieux aimer sont supérieurs au point de vue même de l’espèce. On peut donc prévoir un triomphe graduel du souvenir par voie de sélection ; on peut rêver un jour où l’individu se serait lui-même si bien mis tout entier dans son image, comme l’artiste se mettrait dans une œuvre s’il pouvait créer une œuvre vivante, que la mort deviendrait presque indifférente, secondaire, moins qu’une absence: l’amour produirait la « présence éternelle. »

Dès maintenant il se rencontre parfois des individus si aimés qu’ils peuvent se demander si, en s’en allant, ils ne resteraient pas encore presque tout entiers dans ce qu’ils ont de meilleur, et si leur pauvre conscience, impuissante encore à briser tous les liens d’un organisme trop grossier, n’a pas réussi cependant, —