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ces deux choses ; le problème de l’immortalité est au fond identique à ce problème social. Seulement, il porte sur la conscience individuelle conçue comme une sorte de conscience collective. À ce point de vue, il est probable que, plus la conscience personnelle est parfaite, plus elle réalise à la fois une harmonie durable et en même temps une puissance de métamorphose indéfinie. Par conséquent, en admettant même ce que disaient les pythagoriciens, que la conscience est un nombre, une harmonie, un accord de voix, on peut encore se demander si certains accords ne deviendront pas assez parfaits pour retentir toujours, sans cesser pour cela de pouvoir toujours entrer comme élémens dans des harmonies plus complexes et plus riches. Il existerait, dans l’ordre mental, des sons de lyre vibrant à l’infini sans perdre leur tonalité fondamentale sous la multiplicité de leurs variations. Il doit y avoir une évolution dans l’organisation des consciences, comme il y en a une dans l’organisation des molécules et des cellules vivantes, et, là aussi, ce sont les combinaisons les plus vivaces, les plus durables et les plus flexibles tout ensemble, qui doivent l’emporter à la fin dans la lutte pour la vie..

La conscience est un ensemble d’associations d’idées et conséquemment d’habitudes, groupées autour d’un centre ; or nous savons que l’habitude peut avoir une durée indéfinie. Pour la philosophie contemporaine, les propriétés mêmes des élémens matériels sont déjà des habitudes, des associations indissolubles. Une espèce végétale ou animale est aussi une habitude, un type de groupement et de forme organique qui subsiste à travers les siècles. Il n’est pas prouvé que les habitudes d’ordre mental ne puissent, par le progrès de l’évolution, arriver à une fixité et à une durée dont nous ne connaissons aujourd’hui aucun exemple. Il n’est pas prouvé que l’instabilité soit le caractère définitif et perpétuel des fonctions les plus élevées de la conscience. L’espérance philosophique de l’immortalité est fondée sur la croyance opposée, selon laquelle, au dernier stade de l’évolution, la lutte pour la vie deviendrait une lutte pour l’immortalité. La nature en viendrait alors, non à force de simplicité, mais à force de complexité savante, à réaliser une sorte d’immortalité progressive, produit dernier de la sélection. Les symboles religieux ne seraient que l’anticipation de cette période finale.


Considérons maintenant les consciences dans leur rapport mutuel. La psychologie contemporaine tend à admettre que des consciences différentes ou, si l’on préfère, des agrégats différens d’états de conscience peuvent s’unir et même se pénétrer; c’est quelque chose d’analogue à ce que les théologiens ont appelé la pénétration des