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l’angle de deux rayons éteints sera l’unique trace laissée par tous les efforts humains dans le monde de la pensée. La théorie de l’évolution paraît aboutir à la dissolution des individus plus sûrement encore qu’à celles des mondes et des espèces vivantes. La forme individuelle et la forme spécifique ne semblent pas avoir plus de fixité l’une que l’autre. « Le dernier ennemi qui sera vaincu, c’est la mort. » Peut-être aussi la mort est-elle le dernier secret qui sera pénétré par la pensée humaine. La philosophie, comme la religion, est en majeure partie une « méditation de la mort ». Quand Platon arrivait devant ce problème de la destinée, il ne craignait pas de se lancer en plein dans les hypothèses philosophiques et même dans les mythes poétiques. Nous voudrions examiner quelles sont aujourd’hui les suppositions ou, si l’on veut, les rêves qu’on peut faire encore sur la destinée à venir en s’inspirant de la philosophie dominante à notre époque, celle de l’évolution. Dans la conception actuelle de la nature, Platon trouverait-il encore quelque refuge pour ces « belles espérances » dont il faut, dit-il, « s’enchanter soi-même? » En Allemagne et surtout en Angleterre, on se plaît à chercher ce qui peut subsister des croyances religieuses dans les hypothèses scientifiques et philosophiques, fût-ce sous la forme la plus problématique et la plus incertaine[1]. Nous voudrions faire ici, à propos de l’immortalité, un travail analogue, aussi conjectural que peut l’être toute perspective sur le mystère des destinées. Est-il besoin de dire que nous ne prétendons nullement « démontrer » ni l’existence ni même la probabilité scientifique d’une vie supérieure? Notre dessein est plus modeste : c’est déjà beaucoup de faire voir que l’impossibilité d’une telle vie n’est pas prouvée et que, devant la science moderne, l’immortalité demeure toujours un problème : si ce problème n’a pas reçu de solution positive, il n’a pas reçu davantage, comme on le prétend parfois, une solution négative. En même temps, nous rechercherons quelles hypothèses hardies il faudrait faire aujourd’hui pour traduire et transposer en un langage philosophique les symboles sacrés des religions sur la « destinée des âmes. »


I.

Commençons par ce qui est le plus voisin de l’expérience positive et cherchons dans ce domaine ce dont la doctrine évolutionniste

  1. Voir les travaux de Lotze, de Fiske (the Destiny of man), de Tait et Balfour Stewart (le Monde invisible), de Shadworth Hodgson (Philosophy of reflection, etc.