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première, les individus qui devaient agir dans leur département ; la seconde, ceux qui étaient assez jeunes pour être incorporés dans une armée mobile ; la troisième, les gens d’élite, audacieux, déterminés, toujours prêts à un coup de main. Trois cents hommes de la dernière catégorie étaient entrés dans Paris. Ils attendaient, pour y provoquer un soulèvement, que la république eût employé ses troupes contre les armées alliées et qu’en Bretagne, en Vendée, en Alsace, en Franche-Comté, dans les provinces méridionales, on fût prêt à les seconder. Partout, des chefs étaient attendus ; on les désignait, déjà, car les agens royalistes avaient. parlé des offres faites au roi par Dumouriez, par Pichegru, par Willot.

Les rapports assuraient, encore que la garde du Directoire était à vendre, que les conjurés étaient assurés du concours des mécontens de Suisse, de Belgique et de Hollande. En Franche-Comté, on tenait Besançon par la complicité des chefs qui y commandaient. L’action de Précy s’étendait de Lyon jusque dans la Haute-Auvergne. Le mouvement était imminent en Provence; il favoriserait les efforts des alliés en Italie. Six mille hommes répandus entre Digne, Gap et Sisteron attendaient des ordres. On leur annonçait une escadre anglaise qui devait débarquer à Fréjus ou à Antibes des munitions et de l’argent. Dans le comtat d’Avignon, des soulèvemens analogues se préparaient. Ils avaient pour objectif la citadelle du Pont-Saint-Esprit. « Depuis Schaffhausen jusqu’à Dusseldorf, on a placé à distance des hommes adroits qui instruisent de tout et dont plusieurs se sont déjà ménagé des accès auprès des états-major ; on fait circuler dans les armées des pamphlets et des chansons contre les gouvernans. Dans chaque département il existe une association capable de s’emparer de l’autorité au moment où de grands coups frappés aux frontières assureront les moyens d’opérer une crise décisive à Paris. »

Pour une petite part de réalité, il y avait dans ce rapport une grande part d’exagération. Inconsciemment ou à dessein, leurs auteurs dénaturaient la vérité. De quelques faits isolés ils tiraient des considérations générales ; par des accidens, ils jugeaient l’ensemble. Parlant des insurrections partielles du Languedoc et de Provence, ils montraient le Midi en armes. L’existence de quelques bandes de déserteurs, brigands de grands chemins et chauffeurs, était interprétée comme une preuve du refus de l’armée « de servir un gouvernement régicide et oppresseur. » A la faveur de plans qui n’existaient que sur le papier, ils prédisaient la chute de la république, le succès final du parti du roi[1],

  1. Tous n’étaient pas aussi, confians dans les dispositions des Français. En février 1798, le duc d’Havré, qui était à Madrid, bien placé, par conséquent, pour juger de l’état des esprits dans le Midi, écrivait avec plus de perspicacité qu’il n’en révélait d’ordinaire : « Quoiqu’on ne puisse douter ici des progrès de l’opinion en France, ni de l’étendue des moyens d’influence de Votre Majesté, on y regarde le royalisme accablé sous le régime de la Terreur et sans aucune énergie. On s’y méfie des agens de Votre Majesté, qu’on juge n’être exempts ni de jactance, ni d’indiscrétion, ni de précipitation, ni d’imprudence, qui ont contribué au triomphe de nos ennemis, à des insurrections prématurées, partielles, mal combinées, plus mal exécutées et confiées à des personnes jouissant de peu de crédit, qui, ayant compromis en pure perte, compromettraient également ceux qui les seconderaient. »