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se tiendra à portée de les soutenir. Tel, Votre Majesté Impériale le sait, fut toujours l’objet de tous mes vœux[1]. Fut-il jamais un moment plus favorable pour réaliser les espérances qu’elle m’a données? Je la prie, je la conjure d’en hâter l’accomplissement. Que, placé au premier rang de ses troupes, j’entre le premier en France. Ce sera la plus grande marque d’amitié qu’elle m’ait jamais donnée[2]. »

À ces supplications réitérées Paul Ier répond par le silence, ou, s’il y fait allusion, c’est pour objecter qu’il ne saurait encore les exaucer[3]. Le roi se résigne à l’immobilité. Il suit des yeux les événemens qui se déroulent en Italie, d’où Souvarof expulse les Français, en Suisse où les Autrichiens sont entrés, où les Russes vont les rejoindre ; et il emploie ce qu’on lui permet encore d’action à convaincre les puissances de la nécessité de se faire précéder en France par un manifeste.

Ce manifeste était la grosse affaire du moment. Louis XVIII désirait que l’Autriche, au moment où ses armées franchiraient la frontière, lançât une proclamation portant que les puissances coalisées ne se proposaient pas un démembrement de l’ancien territoire, qu’elles ne poursuivaient d’autre but que la restauration du légitime roi de France, « non dans l’intention d’imposer cette condition comme un trophée de la victoire, mais par la conviction intime que c’est le seul moyen de rendre la paix à l’Europe. » C’est cette déclaration que Pichegru, dans ses conférences avec Wickham, et, après lui, Willot, avaient demandée déjà au cabinet de Saint-James. Après de longs pourparlers, ils s’étaient résignés à en accepter l’ajournement. Ils avaient même fini par trouver sage et prudent qu’on ne parlât du roi de France et qu’on n’arborât le drapeau blanc qu’après la victoire définitive des alliés. Mais, le roi estimait au contraire et faisait écrire par Saint-Priest aux ministres du tsar que la mesure qu’il réclamait aurait pour effet « de réunir aux drapeaux

  1. Dans la pensée de Louis XVIII, la distance qui sépare la France de la Russie ne permettant aucune crainte quant à des projets d’agrandissement de l’un aux dépens de l’autre, les troupes russes devaient être accueillies plus favorablement que les troupes autrichiennes.
  2. Mitau, 7 juin 1799.
  3. Au moment même où le tsar répondait par des refus successifs aux demandes belliqueuses de Louis XVIII, un journal de Paris, le Bulletin de l’Europe, insérait sous la rubrique : Correspondance de Mitau, la note suivante communiquée sans doute par l’agence royaliste ou peut-être par la police de Fouché : « Paul Ier a fait déclarer à Sa Majesté très chrétienne qu’il désirait que, par sa présence sur le théâtre de la guerre, elle daignât sanctifier les efforts de la coalition et prouver à tous les Français que ce ne sont point des étrangers avides de conquêtes qui menacent leur territoire, mais que c’est un roi injustement dépouillé qui veut reprendre ses états, un petit-fils de Henri IV qui réclame son héritage envahi par des brigands. »