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il envoya ses plaintes à Mitau. Mais lorsque revint la réponse, Pichegru s’était déjà humanisé, grâce à l’intervention de La Maisonfort, et prêté à divers entretiens avec ceux qui lui parlaient au nom du roi. L’affaire Barras en faisait seule, il est vrai, tous les frais. C’est en vain que Fleury et Thauvenay essayaient d’arracher à Pichegru quelque chose des instructions qu’il avait reçues du cabinet de Saint-James. Ils s’étonnaient de son silence sans comprendre que, s’il ne parlait pas, c’est qu’il n’avait rien à dire et que, ses instructions ne prescrivant rien, ne précisant rien, il ne savait que faire, dominé déjà par la crainte de ne pouvoir s’employer. C’est cette crainte qui le jetait dans l’intrigue Barras contre le gré du roi[1], qui, durant de longs mois, allait le faire errer, sans but et sans utilité, à travers l’Allemagne et la Suisse, dupe des illusions des uns, de la mauvaise foi des autres, empêtré dans sa trahison, qu’attendait le plus piteux avortement.

En dépit de ces incidens, la cour de Mitau croyait fermement à l’efficacité du concours de Pichegru, de Dumouriez et de Willot. Leurs démarches, encore que le but n’en apparût pas clairement, étaient interprétées comme la preuve d’un revirement de la fortune, si longtemps contraire, revirement qui se manifestait au milieu de circonstances favorables, propres à le rendre plus efficace qu’aux époques antérieures où, sur la foi de symptômes et d’incidens analogues, les royalistes avaient cru tenir la victoire. Ils pouvaient espérer maintenant qu’elle ne leur échapperait plus. L’oisiveté dans laquelle vivait Pichegru, la prolongation du séjour de Willot en Angleterre, le silence de Dumouriez, n’ébranlaient pas cette espérance.

Et cependant le roi, qui attendait des lettres de ces généraux, s’étonnait de leur mutisme. Il se demandait si leur conversion avait été sincère. Il trouvait inconcevable que Pichegru, au mois d’avril,

  1. Le 27 janvier 1799, Saint-Priest écrivait à Thauvenay : « L’imprudence d’amener Pichegru à Hambourg a eu le succès qu’on en pouvait attendre. Comme on nous avait mandé qu’un commissaire anglais devait le joindre, nous avons cru que le général venait au-devant de lui. Mais nos lettres de Londres, si retardées, ne font aucune mention de ce commissaire et il nous reste à plein le chagrin que Pichegru ait cédé à l’extravagance de La Maisonfort. Nous savons à présent que ce général n’a point de mission précise et va seulement tâter le terrain. Je ne vois pas pourquoi il n’y procéderait pas tout de suite au lieu d’aller de nouveau à Brunswick avec le projet d’en revenir pour l’affaire Monnier. Si elle a lieu, sa présence peut y nuire plutôt qu’y servir.