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Après l’expédition de ces réponses, on avait attendu d’autres nouvelles. Mais elles se faisaient désirer. C’était le moment où Pichegru conférait avec le cabinet de Saint-James, se rendait presque invisible pour les émigrés, condamnait les correspondans du roi à garder le silence, à substituer des appréciations et des prévisions plus ou moins fondées aux renseignemens qui leur manquaient. Le roi s’inquiétait du laconisme et de la rareté de leurs avis. Il commençait à craindre que Pichegru refusât d’entrer à son service, que l’espoir qu’en 1796 on avait édifié sur son concours dût être abandonné. Ces appréhensions ne devaient pas durer longtemps. Dans le courant du mois de janvier 1799, les rapports des agens annonçaient successivement les dispositions de Pichegru, ses accords avec les Anglais, son départ pour l’Allemagne et son arrivée sur le continent.

A la même date, il est vrai, le gouvernement français en était également avisé. Le 4 janvier, le ministre de France à Hambourg faisait part à Talleyrand des rumeurs qu’il avait recueillies à ce sujet, mais il les croyait inexactes : « Toutes les recherches que j’ai pu faire sur la prétendue arrivée de Pichegru et son passage à Hambourg tendent à me persuader que cette nouvelle a été inventée à plaisir par les agens anglais à Cuxhaven. » Le surlendemain, nouvelle lettre, signée cette fois du consul général et mieux informée que la précédente : « Je m’empresse de vous instruire que le débarquement de Pichegru à Cuxhaven vient de m’être confirmé. Cependant, je n’ai que des données vagues sur l’objet de sa mission et suis fondé à croire qu’il n’a pas pris la route de Berlin parce que l’on m’assure maintenant qu’il a pris celle de Brème. S’il en est ainsi, rien de plus vraisemblable que sa destination pour le Brabant. On m’assure, d’un autre côté, qu’il est venu à Hambourg et qu’il loge en ce moment à Altona... Cette assertion me paraît d’autant plus digne d’attention qu’aucun républicain ne révoque en doute les intrigues qui se tiennent chez la princesse de Lorraine à Altona. » c’est la princesse de Vaudemont qu’on désigne ainsi. Le 22 janvier, un rapport secret envoyé à Paris signale sa maison « comme un dangereux centre d’émigrés. » Puis le rédacteur ajoute : « On ne sait si Pichegru y est allé ; mais il est allé voir La Fayette à Ploen, dans le Holstein, ou Dumouriez dans le Schleswig. Quoique divers de principes, La Fayette et Dumouriez sont d’accord contre le gouvernement français[1]. »

  1. Les agens français n’étaient pas toujours aussi bien informés. Les notes de police, surtout, témoignent de l’ignorance de leurs auteurs. M. de Thauvenay est qualifié « un nommé Thouvenay; » le duc d’Havré, « un duc d’Avrai, qui était en Angleterre ce qu’on appelle un chef d’émigrés, »