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ses espérances[1]. » Ses efforts, au surplus, furent vains. Le cabinet britannique ne voulait utiliser ses services qu’avec l’agrément du cabinet de Vienne, en quelque sorte sous sa surveillance.

Sans doute, on s’était montré plus empressé quand il s’agissait de confier une mission à Pichegru. Mais cette mission, par son caractère vague, s’accordait avec les vues du gouvernement anglais : il pouvait l’entraver, l’arrêter à son gré ; il en tenait tous les fils et en restait maître. Il n’avait donc pas hésité à laisser partir Pichegru. Celle que sollicitait Willot reposait sur des bases plus précises, se présentait dans des conditions plus nettes. Après y avoir adhéré, on serait engagé, et peut-être au-delà de ce qu’on voulait. C’est pour cela qu’on ajournait l’exécution des plans proposés par ce général.

Bientôt lassé de l’inutilité de ses tentatives, il dut se résigner à attendre le bon vouloir de l’Angleterre. Il alla s’installer à Barnes, près de Londres. Il y demeura, dévoré par l’impatience, suivant d’un œil anxieux les événemens qui troublaient l’Europe. Les calculs de l’Angleterre devaient l’y retenir plusieurs mois. En juillet 1799, il s’y trouvait encore, pendant que le comte d’Artois, secondé par d’Harcourt, Cazalès et Dutheil, s’efforçait d’amener le cabinet Pitt aux solutions qu’il considérait comme seules conformes aux intérêts de sa maison.

À ce moment, tandis que Pichegru errait à travers l’Allemagne et la Suisse, trompé dans ses espérances et réduit à l’impuissance, tandis que Willot rongeait son frein, un nouveau personnage entrait en scène, se jetait ouvertement dans le parti du roi. C’était le général Dumouriez.

Il y avait déjà quatre ans que Dumouriez vivait en proscrit, la Convention ayant mis sa tête à prix et le Directoire ayant maintenu ce rigoureux arrêt. Après d’innombrables pérégrinations, réfugié tour à tour en Allemagne, en Belgique, en Suisse, dans les états de Venise, chassé successivement de ces asiles par les victoires des armées françaises, il n’avait trouvé de sécurité que dans le Holstein, possession danoise dont était gouverneur le prince Charles de Hesse. Ce brillant soldat, généralissime des armées de Danemark, s’était fait l’ami de Dumouriez[2]. Il lui avait donné, avec une pension

  1. Mémoires de Vaublanc.
  2. Les premières avances vinrent de lui. Il avertit Dumouriez qu’un émigré, nommé Lansac, avait pris l’engagement de l’assassiner. Cet avertissement causa à Dumouriez la plus vive émotion. Il voulut d’abord être initié aux origines de ce complot, en connaître et en faire punir les auteurs. Puis, sur le conseil du prince, il y renonça. Mais il demeura reconnaissant de la sollicitude dont il avait été l’objet, et sa reconnaissance engendra une amitié qui fut bientôt partagée. Il persuada au prince que le Schleswig-et le Holstein étaient remplis d’agens du Directoire qui cherchaient à révolutionner ces provinces. Il entreprit même de faire surveiller à Hambourg et à Altona les représentans du gouvernement français, lesquels en furent prévenus par les magistrats d’Altona. (Correspondance du prince de Hesse. — Archives royales de Danemark.)