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On tomba d’accord qu’il ne fallait pas compter sur La Fayette. Les représentans du roi croyaient au contraire que Carnot, alors réfugié en Suisse, ne refuserait pas de tirer l’épée pour la cause royale. Pichegru ne fut pas de cet avis. « Carnot est en sûreté, dit-il, mais on ne peut rien en espérer pour nous parce qu’il juge son crime envers le roi irrémissible. En revanche, nous aurons Willot. Il viendra à Londres dès que sa santé le lui permettra. » A l’issue de cette conférence, d’Harcourt écrivait à Mitau : « Pichegru a beaucoup de mesure, de fermeté, de modestie. Il connaît la guerre. Il était délicat de lui parler de ses succès. Il a moins cherché à les faire valoir qu’à prouver le désir de les réparer. »

Cependant Dutheil n’était pas pleinement satisfait de cette entrevue, au cours de laquelle Pichegru, à son avis, ne s’était pas suffisamment expliqué. Il en provoqua une seconde. Mais, cette fois, il s’y rendit seul.

Dans le tête-à-tête, Pichegru s’exprima avec plus de précision et de clarté. Il se porta fort pour le désintéressement et la sincérité du cabinet britannique ; il se félicita de la liberté qui lui était laissée : « Aucun agent de l’Angleterre, dit-il à Dutheil, ne doit ni diriger ni influencer mes opérations. Je n’aurai de rapports avec celui ou ceux à qui je serai adressé que pour recevoir d’eux les sommes nécessaires à mes entreprises. » Il manifesta l’intention de faire tous ses efforts pour convaincre l’Autriche que la guerre serait non-seulement inutile, mais funeste, si elle n’était précédée par la reconnaissance du roi. Quant à l’hypothèse d’une paix générale, elle ne l’effrayait pas. « Il n’en est pas moins convaincu, écrivait Dutheil à Louis XVIII, que Votre Majesté ne doit pas renoncer à l’espoir d’entrer bientôt dans ses états. L’opinion du général à cet égard est fondée sur la promesse qui lui a été faite par le gouvernement britannique de laisser à sa disposition, cette paix ayant lieu, les moyens de faire la guerre à la France et sur l’espoir que le cabinet de Saint-James serait soutenu par quelque vigoureuse résolution de l’empereur de Russie. Le général Pichegru m’a engagé de supplier Votre Majesté de ne point considérer comme une assurance donnée de sa part avec légèreté la certitude qu’il a que, malgré la paix, le retour de Votre Majesté en France ne serait différé que de très peu de temps. Il désire aussi que Votre Majesté sache qu’il lui a été fait la promesse qu’il serait remis pour le Midi de la France au général Willot, qu’on attend à chaque instant en Angleterre, les mêmes moyens que ceux qui lui sont confiés pour l’Est. Dans le cas où Pichegru se trouverait forcé par les circonstances de tirer quelques coups de canon constitutionnels de 1797, il ne doute pas que Votre Majesté ne l’en croira pas moins le plus fidèle