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sa parole qu’il ne l’a pas vu, s’il en était question au parlement. Pichegru s’offre pour les provinces de l’Est et demande que Willot soit employé dans celles du Midi. Il croit pouvoir promettre cent mille hommes des débris de son armée. Je n’ai pas parlé encore de ce qui le concerne avec les ministres anglais pour ne pas les embarrasser. Je le ferai quand il en sera temps. »

Six jours après, le 2 novembre, d’Harcourt jugea que l’heure était venue d’en entretenir lord Grenville. La réponse du ministre fut aussi mystérieuse que brève : « Nous laisserons Pichegru à la campagne, dit-il ; nous préférons le tenir écarté. » Puis, comme d’Harcourt, faisant allusion aux résultats des négociations suivies à Saint-Pétersbourg pour réformer la coalition, le félicitait sur les bons effets de son crédit en Russie et lui demandait à quel moment Louis XVIII pourrait entrer en activité, lord Grenville ajouta : « Nous ne sommes pas encore au moment de nous occuper de Sa Majesté. Vous savez ma profession de foi pour ses intérêts. Elle ne variera pas. Il ne tenait qu’à la cour de Vienne, il y a quatre mois, et encore plus, il y a six mois, de terminer par les armes les malheurs qui menacent l’Europe. Je ne sais si elle en retrouvera les mêmes occasions malgré les efforts de la Russie et de la Porte. » Dans ce langage, pas un mot de Pichegru, ni de ses conférences avec Wickham, ni du plan à l’étude duquel elles étaient consacrées.

Quanta Pichegru, ce fut seulement quand les grandes lignes de ce plan furent arrêtées et trois jours avant son départ pour l’Allemagne, qu’il se décida à entrer officiellement en relations avec les agens de Louis XVIII.

Le 30 novembre 1798, il se rencontra avec le duc d’Harcourt, Cazalès, Dutheil et leur confia ses projets. Il leur confessa « qu’il n’avait pas reçu du gouvernement anglais de mission particulière ; mais, qu’on le faisait partir avec la certitude que, lorsqu’il aurait choisi sa résidence, il y formerait son parti, et l’assurance que lorsqu’il aurait fait connaître ses plans, on lui fournirait des moyens pécuniaires pour les réaliser. Ses adhérens, ses officiers les plus sûrs, les corps d’armée qu’il avait commandés étaient disséminés. Mais, il espérait bien renouer avec eux des rapports et y recruter des partisans. »

Cazalès lui fit connaître les divers personnages qu’à Paris, en Souabe et ailleurs, le roi employait à son service ; il l’éclaira sur leur capacité, leurs talens, leurs inconvéniens, leur caractère; enfin, il le mit en défiance contre le ministère anglais, « qui songeait bien plus à son intérêt qu’à celui du roi. » On parla aussi du concours qu’on pouvait attendre des généraux que le Directoire avait proscrits.