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la France. Mais il ne se méprenait pas quant à l’avenir de la coalition. Au mois de décembre, elle allait être reformée entre la Russie, l’Autriche et l’Angleterre, à qui le concours de la Turquie et celui des Deux-Siciles étaient assurés.

Une activité nouvelle se manifestait à cette date dans le parti royaliste tant au dedans qu’au dehors de la France. L’agence de Souabe expédiait Précy à Vienne pour l’associer aux efforts de l’Angleterre et de la Russie. Talbot, l’agent anglais en Suisse, au mépris de ses instructions, favorisait un plan émané des membres de cette agence, qui devait aboutir au renversement du Directoire et au rétablissement des Bourbons. A Paris, dans les départemens, les partisans du roi rentraient en campagne. Paris était inondé de brochures, de pamphlets, d’affiches pour et contre la monarchie. Les rapports secrets envoyés à Mitau signalaient incessamment ces publications, y voyaient la preuve du réveil de l’esprit royaliste[1]. C’était le moment où une intrigue se nouait entre un personnage qui se prétendait mandataire de Barras et la cour de Mitau, ayant pour objet la restauration des Bourbons[2] ; où le général Dumouriez, réfugié dans le Holstein, poussait le Danemark à prendre les armes contre la France ; où des tentatives, d’ailleurs condamnées à demeurer vaines, étaient faites par les émigrés pour rallier

  1. L’un de ces rapports signale l’Essai de Boulay (de la Meurthe) sur les causes qui amenèrent en Angleterre l’établissement de la république et sur celles qui la détruisirent. « Cet ouvrage a fait une grande sensation. Mais si, d’une part, il nourrit nos espérances; de l’autre, il indique au gouvernement les causes de sa décadence et les remèdes dont il pourrait encore faire usage pour la retarder. » Après cette remarque, l’auteur du rapport ajoute : « Le succès de cet ouvrage en a provoqué un autre bien dangereux, fait par Benjamin Constant, Genevois de naissance, et qui a pour titre : Des suites de la contre-révolution de 1660 en Angleterre. » Suit l’analyse du livre, dans laquelle sont intercalées diverses citations. Celle qui suit est curieuse à divers points de vue. Après avoir exposé que Charles II ne dut sa restauration qu’à des Anglais, Benjamin Constant ajoutait : « Nous, au contraire, nous voyons aujourd’hui des hommes que l’Europe policée regarde encore comme des sauvages, nous offrir un joug étranger. Un prétendant, esclave des Russes, attend la destruction de nos bandes généreuses pour devenir le maître de la France déchirée. Il attend en sûreté, loin des combats qui se livrent pour sa cause, que les barbares qu’il a soulevés contre son pays lui annoncent que la mort, le pillage et l’incendie lui ont frayé la route sanglante de cette contrée qui le repousse de son sein. » En marge de la copie expédiée à Saint-Pétersbourg et déposée aujourd’hui dans les Archives russes, Louis XVIII a écrit de sa main : « C’est ainsi qu’un vil mercenaire ose traiter ce que l’Europe a de plus grand et de plus généreux. Jamais je n’eusse consenti à faire transcrire cette infâme diatribe, si elle était l’ouvrage d’un Français, et que je n’en fusse pas moi-même le véritable objet. »
  2. Cette curieuse intrigue, demeurée obscure jusqu’ici, forme l’objet d’un récit spécial, écrit à l’aide des documens déposés aux Archives de Moscou et dont une copie est en notre possession. Nous n’en dirons donc, dans les pages qui suivent, que ce qui est nécessaire à la clarté et à l’intérêt de notre narration.