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cellule des moines, tandis que la société civile et le monde féodal s’entendaient avec l’église pour le rachat du paradis. L’église au moyen âge a dû à cet état particulier des consciences une force infinie, qui lui servit à assurer son indispensable puissance temporelle. Entre Dieu et le fidèle se place désormais le prêtre, avocat et médiateur qui débat avec le juge éternel les conditions du salut des hommes. Mais, en même temps, le prêtre dérobe la face de Dieu à la vue du fidèle. Il tient entre ses mains la clé du royaume céleste ; il est partout présent, et toujours en maître ; il mesure la part de mortifications, d’abstinences, d’aumônes qu’il croit nécessaire aux intérêts de chaque chrétien ; il envoie les grands pécheurs à Rome, sur le tombeau des apôtres, à Jérusalem, sur le sépulcre du Sauveur. Lui seul sait les paroles mystérieuses qui endorment la tentation et chassent l’esprit malin, et, par les indulgences, peut encore soulager l’âme des morts et briser les chaînes du purgatoire. Au-dessus du prêtre lui-même, plus haut que le pape qui communique à la hiérarchie ecclésiastique les ordres de Dieu, se tient la multitude des élus, des médiateurs bienheureux, dont chacun a sa clientèle d’âmes, de paroisses, de corporations, de cités, de royaumes ; leur culte envahit comme d’une végétation touffue l’enceinte de l’église ; le pauvre leur apporte une amulette, le riche leur édifie une chapelle ; ils sont les familiers de Dieu ; on les aborde avec moins de crainte que le prêtre, dont les passions humaines troublent parfois la douceur ; c’est à eux que vont les dernières effusions d’amour qu’on n’ose plus adresser à « notre Père qui est dans les cieux. »

Saint François réconcilie l’homme avec Dieu. Il le pousse au giron de celui qui a dit : « Bienheureux ceux qui pleurent ! » Le vrai médiateur, c’est Jésus qui a voulu mourir pour le genre humain afin d’en payer la dette ; il est le vrai prêtre, l’évêque des âmes, est-il écrit dans la règle : Episcopus animarum nostrarum. C’est à lui qu’il faut apporter ses misères pour qu’il les allège, les blessures de son cœur pour qu’il les guérisse. Il sait mieux que personne ce qu’il faut à ses enfans, car, répétait saint François, « c’est l’œil seul de Dieu qui juge de la valeur de l’homme. » Devant lui, aucune conscience n’est plus haute qu’une autre, car il est pour toutes, avec une égale bonté, la source de tout mérite. « Toutes vertus et tous biens, est-il dit dans les Fioretti, sont de Dieu et non de la créature ; nulle personne ne doit se glorifier en sa présence ; mais si quelqu’un se glorifie, que ce soit dans le Seigneur. » Le rôle du prêtre diminue du moment que le fidèle communie directement avec Dieu ; celui du saint devient inutile, puisque le fils parle librement de ses souffrances à son Père. L’intercession des saints