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à la porte des maisons et des églises ; ils n’ont, pour s’abriter, près d’Assise, que quelques huttes de roseaux. L’Italie communale, l’Italie guelfe des changeurs et des notaires, pour qui le florin est une chose sainte, un pain quotidien, fut à la fois étonnée et attendrie par le spectacle, nouveau pour elle, de consciences si légères en un tel dénûment de tout bien terrestre. Un siècle plus tard, Dante et Giotto exaltaient encore les fiançailles de saint François avec la Pauvreté, qui, « privée du Christ, son premier époux, durant plus de mille et cent années, était restée méprisée et obscure. » Elle fut, en effet, la vertu cardinale du christianisme franciscain. Dans l’hiver de 1209, pendant la messe, François avait entendu une voix qui lui disait : « Allez, ne portez ni or, ni argent, ni monnaie dans votre bourse, ni sac, ni deux vêtemens, ni souliers, ni bâton. » il choisit donc le costume des plus pauvres artisans et des pécheurs, la tunique de drap grossier, le capuchon et la ceinture de corde ; il interdit en principe l’usage des sandales et, d’une façon absolue, le contact des pièces de monnaie. « Les pauvres du Christ, écrit Jacques de Vitry, ne portent en voyage ni besace, ni provisions, ni chaussures, ni bourse dans leur ceinture. Ils n’ont ni monastères, ni églises, ni champs, ni vignes, ni bêtes de somme, ni rien au monde où ils puissent reposer leur tête. » De leurs bréviaires, de leurs pauvres meubles, des ustensiles familiers, ils n’ont, selon un bref de Grégoire IX, que l’usufruit et non pas la propriété. Dès le lendemain de la mort de saint François, l’ordre devait se diviser sur cette grave question, et les nécessités même de la discipline forcèrent l’immense institut des mineurs à posséder des couvens plus dignes de ce nom que les cabanes dont il se contentait du vivant du fondateur. Au XIVe siècle, le débat sur la pauvreté évangélique, exagéré par le zèle des frères qui persistaient à observer la règle étroite, troubla singulièrement l’église et poussa jusqu’au bord de l’hérésie une partie de la famille franciscaine. Mais ces querelles de théologiens n’ont point altéré d’une manière sensible l’œuvre apostolique des mineurs dans la société italienne. Ils purent racheter par la charité ce qu’ils avaient gagné en richesses temporelles. Le haut idéal embrassé par saint François demeura longtemps intact. Par la pauvreté il était revenu au Dieu, oublié depuis tant de siècles, qui était né dans une étable de rencontre, tandis que les renards avaient leurs tanières et les oiseaux leurs nids. Il l’a dit lui-même à Jésus, dans cette prière magnifique : « Elle était dans la crèche, et, comme un écuyer fidèle, elle s’est tenue toute armée dans le grand combat que vous avez soutenu pour notre rédemption. Dans votre passion, elle a été la seule à ne pas vous abandonner. Marie votre mère s’est arrêtée au pied de la croix, mais la Pauvreté y montant avec vous, vous a enserré