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christianisme. Avant tout, c’était Rome qu’il devait avoir dans ses mains. Il commença, en 1198, par se soumettre le préfet impérial et imposer le serment de fidélité au sénateur. Le désordre qui suivit la mort de Henri VI lui rendit le patrimoine et les anciens fiefs toscans de Mathilde ; l’interrègne et la compétition d’Othon IV et de Philippe de Souabe, par la désorganisation du parti impérial et le relâchement des liens qui unissaient à l’empire un grand nombre de villes, lui permirent enfin de se montrer à la péninsule comme le chef de l’indépendance nationale, le protecteur des communes, et, écrivait-il huit mois après son élection, « le tuteur paternel de l’Italie. »

Il fondait de cette façon la tradition qui soutint la papauté jusqu’à Boniface VIII. Tradition sans cesse interrompue par les révoltes des barons et du peuple romain, longtemps compromise par l’effort désespéré des Hohenstaufen pour faire de l’Italie la province impériale par excellence, toujours rétablie par le saint-siège qui, atteint déjà dans sa suzeraineté œcuménique et son prestige spirituel et n’ayant point encore le principat ecclésiastique du XVe siècle, ne pouvait se maintenir au sommet de la péninsule que par l’hégémonie morale et politique du parti guelfe. Innocent III se dévoua à cette œuvre avec une constance que les douleurs de son propre règne ne démentirent point. Il s’enfuit de Rome en flammes, au printemps de 1203, et, dix mois plus tard, rentrait dans cette fosse aux lions, jetait ses partisans contre le maître démagogique de la commune, Jean Capocci, et, tout en livrant bataille dans les rues, achetait à prix d’or les chefs du peuple. Il obtint cette fois tout ce qu’il voulait, le droit de nommer et de déposer le sénateur ou le podestat, à qui appartenait dans la ville le pouvoir exécutif. Il tenait par cette constitution Rome sous le manteau de l’église. S’il avait tenté de détruire alors la commune romaine et d’établir la monarchie papale plus d’un siècle avant que la péninsule commençât son mouvement vers la tyrannie, il eût abdiqué, par cette création singulière, le protectorat des villes italiennes et laissé le saint-siège isolé et désemparé entre l’empire et les communes. Ce n’est point par humilité qu’il se contentait de cette mesure de puissance temporelle, lui qui, vers le même temps, écrivait à Philippe Auguste : «  Le Seigneur a appelé les prêtres des dieux ; le sacerdoce est d’institution divine ; l’empire n’est qu’une extorsion humaine : regnum extorsio humana, » Mais il lui suffisait d’être le seigneur ecclésiastique de Rome et du patrimoine pour grouper les communes autour de la croix pontificale, d’être sans conteste l’évêque de Rome pour parler à l’Occident comme évêque universel, régler l’intégrité de la loi catholique, imposer à Paris la sentence de ses théologiens,