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grave. En réalité, ils se contentent de peu; ils ont encore le vote, que les masses ne refusent qu’à la dernière extrémité à tout régime établi, ils n’ont plus la confiance qui donne la vie et la force à un gouvernement, qui se manifeste par le progrès constant des institutions, par le crédit croissant des hommes chargés de la direction des affaires. Il y a quelques années déjà, lorsque les républicains, servis par les circonstances et en partie aussi par les fautes de leurs adversaires, arrivaient au pouvoir en prodiguant les promesses, ils avaient d’immenses majorités ; ils remplissaient les conseils généraux, les conseils municipaux comme le parlement; ils enlevaient les départemens au pas de course, ils représentaient le succès. Aujourd’hui les votes sont laborieux, les élections sont disputées; se maintenir est déjà compté comme une victoire; et si le mouvement qui semblait il y a quelques années encore si favorable aux républicains s’est arrêté, la raison est simple et évidente, on n’a pas à aller la chercher bien loin : c’est que, depuis qu’ils sont arrivés au pouvoir, les républicains ont eu le temps de montrer ce qu’ils étaient et ce qu’ils pouvaient, de pousser jusqu’au bout une politique qui a abusé de tout, qui a mis tout en péril, la paix morale, la fortune matérielle comme le crédit extérieur de la France. Le pays, au fond, le sent bien; c’est pour cela que, s’il semble hésiter dans son évolution vers les conservateurs, il est défiant à l’égard de ses maîtres du jour; il ne donne plus son vote que par une sorte d’habitude au régime existant, et lorsque M. le ministre de l’intérieur, après M. le président du conseil, croit tout expliquer et remédier à tout, faire face aux difficultés, aux oppositions grandissantes par l’union des républicains, il n’explique rien et n’a de remède à rien. Il répète tout simplement une banalité officielle... Quand les républicains s’uniraient, s’ils ne changent pas de politique, en quoi amélioreraient-ils la situation ? Ils ne feraient que perpétuer le mal, accumuler des difficultés nouvelles pour se retrouver un jour ou l’autre en face des impatiences croissantes de l’opinion, de quelque crise qu’ils auraient préparée.

Voilà ce que les républicains ne veulent pas voir ! Ils ne veulent pas s’avouer que le mal est en eux-mêmes, dans leurs passions, dans leurs violences, dans toute leur politique, et le jour où le pays, lassé de leur règne, commence à s’émouvoir, ils imaginent toute sorte d’explications futiles ou trompeuses ; ils se figurent pouvoir pallier la réalité avec des jactances nouvelles. Ils croient se tirer d’affaires en portant la guerre au camp de leurs adversaires. Oui, en vérité, c’est ainsi, c’est le thème adopté aujourd’hui dans les polémiques et dans les discours républicains ; M. Jules Ferry lui-même l’a déclaré l’autre jour d’un ton superbe en haranguant ses électeurs des Vosges : s’il y a depuis quelque temps dans le pays « une inquiétude fâcheuse, une certaine crainte du lendemain, » si le malaise est dans les affaires, si « le capital hésite et se resserre, » si la crise est partout, c’est la faute des conservateurs,