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Que d’ailleurs, dans cette Chute d’un ange, et surtout dans les Recueillemens, Lamartine, pour vouloir monter encore plus haut, n’ait réussi qu’à développer quelques-uns de ses défauts, je le sais, et, pour tout dire, il n’est que juste de le rappeler. Ni les grandes idées, comme je viens de le montrer, ni les belles pages, ni les beaux vers n’y manquent, mais il semble que le poète, plus abondant que jamais en périodes sonores, n’ait plus en lui de quoi suffire à leur ampleur, ou encore, et plutôt, que son inspiration, débordant sa langue et son vers, s’évapore en nuages dont les contours changeans ne retiennent plus aucune forme. Il a beau prodiguer les images, on sent qu’il les « invente, » mais qu’il ne les « voit » plus, qu’il les cherche plutôt qu’il ne les trouve; et il a beau enfler la voix pour faire croire à l’importance de ce qu’il va dire, nous l’entendons bien, mais nous ne jugeons pas qu’il valût la peine de tant l’enfler. J’ajoute seulement qu’il n’importe guère, et, quand on a lu la Chute d’un ange ou les Recueillemens, si l’on ne s’y est pas plu, que l’on en est quitte pour ne plus les relire. Mais ce que l’on doit observer, jusque dans les erreurs littéraires de Lamartine, — et on en pourrait dire autant, je crois, de ses erreurs politiques, — c’est que la noblesse des intentions y persiste, si même il ne se trompe justement pour viser trop haut. Lamartine, avec ses imperfections, n’en demeure pas moins ce que l’on appelle une âme essentiellement noble, et quand on veut essayer de le caractériser d’un mot, — ce qui n’est jamais facile d’un tel homme, — si ce n’est pas celui de dignité, c’est celui de noblesse au moins qui vient sous la plume.

De toutes les raisons qui, sans avoir encore tout à fait précipité dans l’oubli le nom de Lamartine, l’ont du moins, depuis une vingtaine d’années ou davantage, comme enveloppé d’ombre et d’indifférence, si celle-ci peut-être était la principale, il ne faudrait pas beaucoup s’en étonner, mais, au contraire, le trouver naturel. Les artistes, en général, — car l’observation est sans doute aussi vraie des peintres que des poètes, — n’aiment pas beaucoup les sujets où la matière importe plus que l’art, où l’idée emporte la forme, où la nécessité de l’inspiration ne laisse pas de lieu au tour de force, les grands sujets enfin, et je veux dire par là ceux qu’on ne peut traiter qu’autant que l’on s’y trouve naturellement égal. Mais ils préfèrent les petits, comme étant, pour ainsi parler, à la taille de tout le monde, les sujets qui peuvent faire honneur à leur habileté, dont on ne relève l’insignifiance qu’à force de recherche et d’art. Et, après tout, c’est toujours quelque chose que de savoir à fond son métier, d’en connaître toutes les ressources, de le perfectionner, comme j’avoue que l’ont su faire quelques-uns de nos contemporains; c’est quelque chose et même beaucoup, — quand d’ailleurs on manque de génie. Nos artistes préparent, ils trempent,