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sont de l’école de leur Béranger. L’idée de la mort les importune, ou plutôt, car ils y songent trop rarement pour que l’on puisse dire qu’elle les importune, ils n’aiment pas qu’on la leur présente. Et si la vie est courte, puisque les pessimistes eux-mêmes ne laissent pas de convenir qu’il s’y rencontre de « bons momens, » sa brièveté ne leur est qu’un motif plus cher et plus pressant d’en user et d’en jouir. Vivons, buvons, aimons, et moquons-nous du reste :


Tant qu’on le pourra, Iarirette,
On se damnera, larira,


c’est la devise ou le refrain de nos chansonniers, et c’est bien le fond de la race. Mais, quand l’idée de la mort, pour tout homme qui pense, ne serait pas l’objet de ses plus graves méditations, et quand elle ne serait pas, dans la vérité de l’histoire, l’inspiratrice de toutes les grandes actions, il faudrait faire encore observer, au seul point de vue de l’art, tout ce qu’elle communique à la poésie, non pas même en l’absorbant, mais en s’y mêlant seulement, de profondeur et de sens. Elle met une ombre au plaisir, elle donne du prix à la vie ; l’amour, la volupté même ne sont sans elle que la satisfaction brutale d’un instinct ou d’un appétit; la nature n’est plus qu’un décor de théâtre, une toile de fond, immobile et muette; et c’est pourquoi nous voyons que, dans tous les temps comme dans toutes les langues, sans cette pensée de la mort, invisible et présente, il n’y a pas, ni ne peut y avoir de grande poésie, mais seulement de la prose rimée. Ce Béranger que je nommais n’en serait-il pas lui-même un exemple, au besoin? lui qui n’a peut-être été vraiment poète en sa vie qu’un seul jour et dans la seule chanson :


Lorsque les yeux chercheront sous vos rides.
Les traits charmans qui m’auront inspiré...


Mais la poésie de Lamartine est imprégnée tout entière de la pensée de la mort. Il en a senti l’épouvante, il en a éprouvé la vertu consolatrice, il en a goûté tout le charme.


Cueillez-moi ce pavot sauvage
Qui croît à l’ombre de ces blés ;
On dit qu’il en coule un breuvage
Qui ferme les yeux accablés.
J’ai trop veillé, mon âme est lasse
De ces rêves qu’un rêve chasse.
Que me veux-tu, printemps vermeil?
Loin de moi ces lis et ces roses !
Que faut-il aux paupières closes?
La fleur qui garde le sommeil.