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Voici un chasseur qui passe dans la forêt avec son chien. Soudain le chien rencontre un lapin, qui détale aussitôt, et avec une rapidité d’autant plus grande qu’il éprouve plus de frayeur. Il sautera par-dessus des fossés très larges, passera dans des broussailles presque impénétrables, se heurtera même à des objets qu’il aurait dû éviter, tellement sa course est précipitée par la peur. Si le chien se met à sa poursuite, c’est bien pis encore, et notre pauvre lapin, affolé, saute, bondit de-ci de-là, probablement terrifié, mais devenu, grâce à cette terreur même, plus agile et plus rapide.

Cependant il s’est caché dans son terrier ; et le chien a rencontré un autre lapin. Celui-là, au lieu de fuir, reste coi ; car il a rencontré les yeux ardens du chien fixés sur lui, et cette vue lui a inspiré une telle épouvante qu’il ne peut en détacher ses regards : il se sent presque paralysé, incapable de s’enfuir. Il est arrêté, comme disent les chasseurs, et la peur, au lieu de le faire courir, l’empêche de courir.

Ainsi la même émotion de la peur se traduit par une inhibition dans un cas, par une excitation dans l’autre.

Hypothèse assurément que cette comparaison entre l’arrêt du gibier et la peur ; mais hypothèse qui me paraît acceptable, car de tous les sentimens connus de l’homme, c’est probablement la peur qui doit se rapprocher le plus de ce qu’éprouvent le lapin, la caille, ou la perdrix, quand ils sont mis en arrêt par un chien. Certes, dans la vague conscience que les animaux ont d’eux-mêmes, la peur n’est pas aussi nettement formulée que dans la conscience d’un homme ; mais, autant qu’on peut raisonner par analogie, c’est un sentiment de même nature.

D’autres animaux que les chiens d’arrêt peuvent exercer cette fascination. Qu’un serpent approche d’un petit oiseau, en le regardant fixement, l’oiseau sera comme paralysé et ne pourra s’envoler. Souvent même, dit-on, grâce à cette sorte de fascination, les serpens peuvent ainsi s’emparer de diverses petites proies, rendues inhabiles à la fuite par cette terreur qui anéantit leurs forces.

Eh bien ! la vue d’un serpent, ou d’un animal immonde comme le crapaud, produit souvent sur des personnes nerveuses une impression analogue. Ce n’est pas tout à fait le dégoût, ce n’est pas tout à fait la peur ; c’est un sentiment mixte, qu’on pourrait appeler l’horreur, qui fait que tout effort parfois est rendu difficile, presque impossible. C’est une action d’inhibition ; ce n’est plus une action d’excitation.

Tout le monde connaît la vieille et fameuse expérience du père Kircher (1646) sur le magnétisme des animaux. Si l’on prend une poule, et qu’on la tienne fixée devant une raie faite à la craie sur le plancher ; la poule restera immobile, dans une sorte de tor-