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se sont plu à retracer les tranquilles labeurs, et Brekelenkam, une manière de Chardin hollandais, nous dit, avec sa simplicité cordiale, les épreuves et les occupations des ménages d’artisans, leurs tristesses ou leurs modestes plaisirs.

Quant aux enfans, il arrive bien, en effet, — c’est Fromentin qui le remarque, — que, comme partout, « on les fesse; qu’ils crient ou font des malpropretés dans les coins ; » mais, comme partout aussi, on les gâte. Ils ont leurs joies, leurs fêtes, leurs cadeaux à la Saint-Nicolas, leurs places aux repas de famille et leurs travestissemens à la mode du temps, avec des houlettes fleuries et des moutons enrubannés. La vérité du décor achève un résumé si complet de la vie hollandaise : ce sont les églises aux blanches parois, sur lesquelles se joue un pâle rayon de soleil ; les villes et leurs maisons, aux pignons historiés, qui s’alignent le long des canaux, dans lesquels elles se mirent ; la campagne, avec sa végétation variée, ses pâturages peuplés de paisibles animaux, ses fleuves, ses vastes horizons, que domine au loin la silhouette bien connue des clochers d’Amsterdam, de Dordrecht ou de Harlem; la mer enfin, l’alliée et l’ennemie de tous les jours, source de richesse et perpétuelle menace pour cet admirable pays, auquel ses peintres, à force de sincérité et d’amour, ont su découvrir une poésie avant eux inconnue. Avec la perfection de leur talent, ils ont mis quelque chose de leur âme dans ces plages battues par le flot grisâtre, dans ce bout de haie qui se tord sous le vent, dans le nuage qui passe et promène sur la dune son ombre mobile. Certes, cet idéal n’est pas toujours bien relevé, et, de son temps déjà, Michel-Ange parlait, en termes assez dédaigneux, de cette curiosité générale qui poussait les peintres de ces contrées du nord à représenter des « masures, des champs très verts ombragés d’arbres, des rivières, des ponts, ce qu’on appelle des paysages, » le tout « sans proportion ni symétrie, sans grand choix ni grandeur. » Malgré tout, cet art a vécu ; en dépit de ses détracteurs et de ses apologistes, parfois plus dangereux pour lui, il a fait son chemin dans le monde. Profondément national, il s’est suffi à lui-même, et, sans s’inquiéter de ce qu’on penserait de lui au dehors, il n’a cherché que sa propre satisfaction. Aussi faut-il le voir dans sa patrie pour le bien comprendre et apprécier tout ce qu’il vaut ; mais, dans quelques-uns de ses chefs-d’œuvre, il n’est pas moins profondément humain, et les révélations inattendues que des maîtres tels que Rembrandt et Ruysdaël nous ont apportées sur nous-mêmes et sur la nature ont ouvert à l’art moderne des voies jusque-là inexplorées.


EMILE MICHEL.