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premiers pas, prêt à rendre avec leur grand air et leur tournure les représentans des plus illustres familles génoises. Avec la même souplesse, il nous laissera des portraits non moins fidèles de l’aristocratie et de la cour d’Angleterre, attentif à montrer chez ses différens cliens la noblesse de leur race plutôt qu’à nous renseigner exactement sur leur nationalité. Sauf de rares exceptions, les autres disciples de Rubens ont également ce caractère un peu cosmopolite. Ils peuvent impunément s’expatrier, et on les rencontre, en effet, partout en Europe, où on les voit indifféremment s’accommoder de toutes les tâches. Quand la veuve du prince d’Orange, Frédéric-Henri, voulant célébrer la mémoire de son mari, fera décorer de peintures allégoriques la grande salle de la maison du Bois, près de La Haye, elle appellera d’Anvers Jordaens et van Thulden pour collaborer avec de Bray, de Grebber, G. Everdingen et d’autres Hollandais. C’est aussi à un Flamand, Pierre Snayers, que les archiducs confieront le soin de retracer les victoires remportées sur ses compatriotes et plus tard, dans son propre pays, van der Meulen, son élève, suivra d’étape en étape les armées de Louis XIV pour conserver le fidèle souvenir de leurs conquêtes.

Quel contraste avec la Hollande ! Quand le grand courant d’émigration qui entraînait les Flamands vers l’Italie s’y fait aussi sentir, comme il y est à la fois plus tardif et moins accusé ! Et tandis que chez Rubens les influences italiennes arriveront à se combiner avec les anciennes traditions locales, comme, en revanche, les Hollandais se montreront jusqu’au bout rebelles à de pareilles transactions ! L’écart entre les deux races est trop grand pour permettre ces compromis. Peu à peu, d’ailleurs, le sens propre de l’école s’est déjà manifesté. On l’a vu poindre chez Engelbrechtszen et chez son illustre élève Lucas de Leyde. Il se marquera plus formellement chez Pierre Aertsen dans cet amour de la réalité, dans cette complaisance pour les détails familiers qui va jusqu’à introduire parmi les sujets les plus élevés des traits d’un naturalisme tout à fait risqué. Plus tard enfin ce réalisme se donnera pleine carrière et prendra librement ses aises, non-seulement chez les peintres de genre, mais chez Rembrandt lui-même et dans ses compositions les plus pathétiques. Pour comprendre à quel point un Hollandais est réfractaire au génie italien, voyez où l’amour du beau style peut entraîner un peintre de grand talent comme Heemskerck ! Quelle différence avec les manifestations de l’influence italienne chez les Flamands ! chez un van Veen, par exemple, qui, loin d’offenser vos regards et de heurter vos goûts, semble, par sa mollesse et son effacement, se dérober à toute critique. C’est, au contraire, avec une crânerie évidente que, dans ses prétentions au genre noble, Heemskerck se montre provocant, outré, grotesque. Dans chacune de ses œuvres vous