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Flamands pour la représentation de la figure humaine. Il leur a fourni, ajoute-t-il plaisamment, de fréquentes occasions de se taire ou de parler de nous sur un ton moins dédaigneux. »

Tout académique et italianisant qu’il soit, il comprend et il fait ressortir en termes excellons le génie des van Eyck, la perfection de leurs ouvrages. Il admire ces qualités de sincérité, de naturel, ce sens de la vie, cet amour de la campagne, qui feront l’originalité de l’école hollandaise. Il ne redoute même pas l’expansion d’un réalisme robuste jusqu’à l’excès, tel que celui de Pierre Aertsen, et, avoir tous les traits qu’il en note, il semble qu’il pressente déjà que l’avenir de cette école est de ce côté. Il n’est pas moins attentif au développement du paysage et il en constate, avec une satisfaction marquée, tous les progrès. Quand il parle de la nature, on voit qu’il l’aime, qu’il la connaît, et il se plaît à lui emprunter ses comparaisons ou ses métaphores. A propos du peintre Bloemaërt d’Utrecht, il vante « ses premiers plans, occupés par d’imposantes bardanes ou d’autres végétations bien traitées, pas trop touffues, » et il approuve fort « sa façon d’introduire dans des sujets rustiques des mares où flottent de grandes plantes, des pièces d’eau entourées de glaïeuls et de hautes herbes, et dont la surface se couvre de plantes aquatiques. » On sent d’ailleurs que c’est un esprit ouvert, cultivé, et nulle part on ne rencontrerait chez lui trace de cette crédulité naïve avec laquelle Guichardin, peu d’années auparavant, accepte et enregistre sans hésitation des fables telles que celle de la Femme marine qui fut prise en 1403, ou de cet autre monstre marin qu’on pécha en 1531, « accoutré tout ainsi en sa forme que s’il eût été évêque, et dont on fit présent au roy de Pologne. » Van Mander a des lumières sur tout et parfois même il pressent quelques-unes des théories de l’esthétique moderne, celle des milieux notamment, quand il attribue à certains pays une influence féconde et qui rend contagieuses les vocations artistiques. En citant les petites villes des rivages de la Hollande qui ont produit un grand nombre de peintres, il se demande si ce n’est pas « l’effet de ces émanations vivifiantes de la mer sur les côtes de la Nord-Hollande, qui a provoqué leurs facultés picturales ; » mais, si séduisante que lui paraisse cette hypothèse, il ne s’y arrête pas plus que de raison.

Peu à peu van Mander s’était attaché à son œuvre. Voulant aussi en rendre la lecture attachante pour le public il crut bien faire en visant à lui donner une forme plus littéraire. Au lieu de dire simplement, bonnement, ce qu’il savait, il se mit à raffiner, et prétendit au mérite du style. Est-il besoin d’ajouter que chez lui, comme chez la plupart des auteurs flamands de cette époque, ce style est affecté, maniéré, plein de subtilités, surchargé d’ornemens de mauvais goût? Mais ces défauts ne sont guère sensibles que dans les