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près les principaux artistes de son pays fixés alors dans la péninsule ; mais, sage et rangé comme il l’était, il avait su résister aux exemples de désordre et d’ivrognerie que donnaient alors quelques- uns de ses compatriotes. On sait aussi qu’il s’était lié familièrement avec B. Spranger, fort considéré à cette époque, et qu’il avait été associé par celui-ci aux importans travaux de décoration que lui confiait l’empereur Rodolphe II.

Après un court séjour à Rome, van Mander était de nouveau revenu à Meulenbeck, où ses concitoyens fêtaient son retour, en 1575. Il se mariait presque aussitôt, mais au lieu du calme auquel il aspirait afin de se consacrer tout entier à son art, il allait trouver sa patrie en proie à la guerre et désolée par les bandes qui parcouraient le pays. Un jour lui-même était obligé de quitter avec les siens la maison paternelle qu’on pillait devant ses yeux. Échappé à grand’peine à la mort, il profite fort à propos de son talent de comédien pour se mêler à ces pillards, en feignant d’être des leurs; puis, soutenant jusqu’au bout son rôle, avec autant d’habileté que d’audace, il se fait adjuger une portion du butin et sauve ainsi quelques épaves du bien de ses parens. Alors commence pour lui une vie nomade, agitée et absolument stérile pour son talent. A peine est-il installé à Courtrai où, à force de travail, il cherche à faire vivre toute sa famille, qu’il doit, en 1581, quitter cette ville, après y avoir vu mourir de la peste sa sœur, son beau-frère et leurs enfans. En se rendant à Bruges (1582), il est de nouveau assailli par des maraudeurs. Dévalisé, laissé presque nu, il s’abandonnait à son désespoir quand il apprend que sa femme est parvenue à cacher aux voleurs, qui l’avaient également dépouillée, une pièce d’or adroitement dissimulée dans ses vêtemens. Van Mander reprend aussitôt courage à la vue de cette aubaine inespérée et, avec sa bonne humeur habituelle, il réconforte les siens et parvient même à les dérider par ses plaisanteries et ses gambades.

Mais l’artiste n’était pas au bout de ses épreuves et son séjour à Bruges ne devait pas être de longue durée. Cette ville était alors bien déchue de son ancienne splendeur. La translation à Anvers du comptoir de la Hanse et l’ensablement de la Suène avaient porté à son commerce un coup mortel. De 1567 à 1584, les sanglantes péripéties de la lutte religieuse achevaient de consommer sa ruine. Tour à tour opprimée par les catholiques et les protestans qui profitaient les uns et les autres de leurs triomphes momentanés pour proscrire, et même massacrer leurs adversaires, elle avait perdu une grande partie de sa population. La contrée avoisinante elle-même était cruellement ravagée par les troupes espagnoles, qui, refoulées de la Hollande, s’étaient rejetées sur le Brabant et sur la Flandre. Grâce à leur héroïque résistance, les Provinces-Unies