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qui plus est, à une vieille fille : « Tous les parens, disait-elle, croient que leurs enfans sont des prodiges ; ils ont raison ; seulement, ce ne sont pas leurs enfans qui sont des prodiges ; c’est l’enfant qui est un prodige. » On voudrait que Bossuet eût, au moins une fois par hasard, oublié son haut ascétisme, son impérieuse et accablante morale pour se laisser aller au doux charme de la nature. Qu’il y ait, même dans l’enfant, des traces de péché, je le veux, et Saint-Cyran les connaissait bien ; mais l’enfant, quand il est beau, quand il est doux, quand il est heureux, qu’y avait-il, je le demande, de plus beau dans le paradis? Il est fâcheux que la vie tout ecclésiastique de Bossuet ne lui ait pas ouvert cet ordre de sentimens ; au moins n’en voyons-nous pas trace dans ses écrits ; il les a cependant compris au moins du dehors; car il les a décrits chez les autres, et il a dépeint avec naïveté le plaisir que l’on trouve à jouer avec les enfans : « Voyez cette mère, ou cette nourrice, ou ce père même si vous voulez, comme il se rapetisse avec cet enfant!.. Ce ton de voix magnifique s’est changé en un bégaiement : ce visage, naguère si grave, a pris tout à coup un air enfantin; une troupe d’enfans l’environne auxquels il est ravi de céder ; et ils ont tant de pouvoir sur ses volontés qu’il ne peut leur rien refuser que ce qui leur nuit. » Sauf cette allusion passagère aux gaîtés de l’enfance, Bossuet ne paraît pas avoir beaucoup connu d’enfans aimables ; il ne peint que les enfans criards et volontaires, comme ils le sont tous sans doute, mais pas toujours. Au moins cette peinture est-elle aussi fidèle que vraie : « Considérez les enfans ! Combien veulent-ils violemment tout ce qu’ils veulent!.. Il ne leur importe pas si cet acier coupe ; c’est assez qu’il brille... Ils s’imaginent que tout est à eux... Que si vous leur résistez, vous voyez au même moment et tout leur visage en feu et tout leur petit corps en action, et toute leur force éclater en un cri perçant qui témoigne leur impatience ! » Pour Bossuet, l’enfant est moins une joie et une espérance qu’un avertissement de notre mortalité, une voix qui semble être là pour nous crier cette terrible parole : « Marche! marche !» — « Cette recrue continuelle du genre humain, je veux dire les enfans qui naissent, à mesure qu’ils croissent et qu’ils s’avancent, semblent nous pousser de l’épaule et nous dire : Retirez-vous ; c’est maintenant notre tour. »

Si Bossuet a été peu attentif à l’enfant ou du moins n’a pas eu l’occasion d’en parler comme il eût pu le faire avec sa langue inimitable, en revanche, il a été plus que personne sympathique à un âge plus redoutable et d’une beauté plus puissante et plus profonde que celle de l’enfant, je veux dire à la jeunesse. Pour cette fois, et c’est peut-être le seul cas dans ses écrits, on sent qu’il dépouille un instant sa robe de prêtre et d’homme d’église pour vivre