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Bossuet ne décrit-il pas la nature et les phases de l’amour? Il dit hardiment que l’amour tend à l’union la plus intime, qu’il ne se contente pas d’une jouissance superficielle, « qu’il tend à la possession parfaite. » Sans doute, il ne veut pas appeler du nom d’amour « ce transport d’une âme emportée, qui cherche à se satisfaire et a toujours la sensualité pour fond. » Et cependant, c’est bien dans ce sentiment-là, ainsi que le Cantique des cantiques, qu’il prend le type et l’image de l’amour divin. Qu’entend-on, dit-il, par le nom d’amour, « sinon une puissance souveraine, une force supérieure qui est en nous pour nous tirer hors de nous, un je ne sais quoi qui dompte et captive nos cœurs sous la puissance d’un autre, et nous fait aimer notre dépendance ? » De quel amour est-il question ici ? Est-ce de l’amour divin ou de l’amour humain, et n’est-ce pas là la peinture de l’un comme de l’autre ? Bossuet exprime encore la même pensée par des expressions beaucoup plus fortes: « l’amour, dit-il, est le don du cœur, ou plutôt il en est l’idole qui usurpe l’empire de Dieu. » Mais, après avoir emprunté à l’amour profane sa définition, Bossuet en fait voir le vide et l’illusion, non parce qu’il est amour, mais parce qu’il est amour de la créature. « O pauvreté de l’amour de la créature ! O monstre et prodige de l’amour profane, qui veut concentrer le tout dans le néant ! Sors du néant, ô cœur qui aimes ! » Ce vide, ce néant est sans doute le propre de tout amour humain, quel qu’en soit l’objet; mais combien l’amour sensuel est-il encore plus funeste et plus humiliant! Bossuet le peint avec des couleurs si fortes qu’on ne les supporterait plus aujourd’hui dans la chaire. Il en connaît les langueurs et les mollesses : « l’amour profane est toujours plaintif; il dit toujours qu’il languit et qu’il se meurt !.. cette femme qui, dans les Proverbes, vante les parfums qu’elle a répandus sur son lit et la douce odeur qu’on respire dans sa chambre, pour conclure aussitôt après : — Enivrons-nous de plaisirs et jouissons des embrassemens désirés, — montre assez par son discours à quoi mènent les bonnes senteurs préparées pour affaiblir l’âme, l’attirer aux plaisirs des sens par quelque chose qui ne semble pas offenser directement la pudeur. » Il en connaît toutes les ivresses, qu’il exprime même avec une singulière crudité : «Dans les transports de l’amour humain, dit-il, qui ne sait qu’on se mange, qu’on se dévore, qu’on voudrait s’incorporer en toute manière, et, comme le disait un poète, enlever jusqu’avec les dents ce qu’on aime pour le posséder, pour s’en nourrir, pour s’y unir, pour y vivre. » Il en connaît les fureurs et les terribles jalousies : « Rien de plus furieux qu’un amour méprisé et outragé. » Il en connaît « les damnables victoires » et les fausses ruptures, comme celles de Louis XIV et de Montespan : « Et vous, qui avez rompu, à ce que vous dites, cet