Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/84

Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’une laideur repoussante, bien représentée par les grands peintres. La respiration devient haletante. La voix s’arrête dans la gorge, et nulle parole ne peut sortir de la bouche pour exprimer cette pénible émotion qui a ainsi ébranlé l’être tout entier, moral ou physique[1].

Il s’agit là, bien entendu, de la peur parvenue à son apogée, et on retrouverait dans les auteurs de toute époque des descriptions d’épouvante qui concorderaient toutes avec celle que nous venons d’esquisser. Une peur modérée, relative, ne produit pas ces graves effets ; d’un autre côté, une peur plus intense peut produire la syncope, c’est-à-dire l’arrêt du cœur.

On sait à quel point toute émotion morale, faible ou forte, retentit immédiatement sur le rythme du cœur. La peur, plus que toute émotion, exerce sur les mouvemens cardiaques une influence puissante que tout le monde connaît bien. Il n’est pas besoin, en effet, pour que le cœur soit ému, d’une peur intense : une petite frayeur suffit. Ne fût-ce qu’une détonation d’arme à feu inattendue ou la surprise de l’aboiement soudain d’un chien, c’est assez pour produire, comme on dit, un battement de cœur. Mais, si la frayeur est extrêmement intense, elle peut amener la syncope ; autrement dit, arrêter complètement les contractions du cœur. En somme, tous ces symptômes, pâleur, sueur froide, tremblement, grande faiblesse, sont les symptômes d’un état que les médecins appellent syncopal, car ils coïncident avec la syncope et souvent même ils la précèdent.

Rarement cette syncope est assez prolongée pour produire la mort ; mais cependant on en trouve dans l’histoire de la science quelques exemples authentiques. Un de mes regrettés confrères, expérimentateur distingué, M. Bochefontaine, m’a raconté qu’une fois il avait pris un chien, sur lequel il se proposait de faire une expérience, et qu’il venait d’attacher sur la table qui sert à ces infortunés martyrs : ce chien, épouvanté sans doute par l’odeur du sang et la vue des préparatifs qui se faisaient devant lui, mourut subitement. Chez l’homme, des cas de mort subite causée par la peur ont été signalés. On rapporte, — mais l’authenticité de l’histoire, qui se trouve dans d’anciens livres de physiologie, ne me paraît pas indiscutable,

  1. Quelquefois la peur agit sur les intestins d’une manière tout à fait spéciale, et que connaissent bien par expérience les vieux militaires. Un ami de M. Mosso, qui fut volontaire en 1866, lui a raconté ainsi ce qu’il a ressenti à sa première bataille. « Rien ne peut donner une idée de la rage avec laquelle les balles sifflaient autour de nous. Elles s’aplatissaient contre les murs et contre les arbres. Les cris des blessés, le bruit étourdissant des coups de fusil, le ronflement du canon, me déchiraient les entrailles. Je croyais que mon corps se fondait… J’étais toujours accroupi dans le fossé sans pouvoir me relever. J’avançais en trébuchant. J’étais honteux de moi-même. Je me serais tué de ne pouvoir regarder courageusement la mort en face ; mais mon organisme ne pouvait supporter ce spectacle terrible. »