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leur mauvaise fortune : « Leurs vertus méritent un plus grand théâtre ; leur grand génie est à l’étroit dans un emploi si borné. » Et, cependant, ils veulent en même temps qu’on les considère comme quelque chose d’auguste ; vous n’entendez sortir de leur bouche que des paroles d’autorité. Pour assurer sa fortune, l’ambitieux cherche partout des appuis autour de lui : « Il appuie sa famille sur des fondemens certains, sur des charges considérables, sur des richesses immenses,.. et pense s’être affermi contre toutes sortes d’attaques; » mais il ne trouve que de la fumée. L’ambitieux se leurre lui-même par toutes sortes de prétextes. Je me modérerai, dit-il ; mais c’est une illusion qu’il se fait à lui-même, et Bossuet se sert ici d’une image hardie, que l’on n’oserait guère risquer aujourd’hui dans la chaire : « Ainsi qu’un homme qui, ayant épousé une femme d’une beauté ravissante, serait obligé de vivre avec elle comme avec sa sœur, vous ne comprenez que trop son péril, autant est-il difficile de garder la modération dans les dignités. » La puissance est le principe de tous les égaremens, « semblable à un vin fumeux qui fait sentir sa force aux plus sobres. » Comment lutter honorablement dans les hautes places contre les compétitions, les convoitises, les injustices? Que fera la vertu avec sa froide et impuissante médiocrité? On sait par quels appâts, par quels degrés insensibles l’ambition trompe ses zélateurs : il n’est pas besoin d’être en monarchie pour en avoir des modèles. Voyez ce portrait des politiciens de tous les temps : « d’abord ils plaignent le public et s’érigent en réformateurs des abus. Que de beaux desseins! Que de sages conseils!.: Quand ils sont arrivés au but, il faut attendre les occasions, qui ne marchent qu’à pas de plomb, et qui enfin n’arrivent jamais. » c’est ainsi qu’on se livre avec un espoir toujours nouveau au hasard de la fortune. On ne peut dire cependant que celle-ci cache ses tromperies : « Ses complaisances sont moins des faveurs que des trahisons. » Les biens qu’elle nous donne ne sont pas tant des présens qu’elle nous fait que des gages que nous lui donnons. Mais l’ambitieux croit toujours qu’il prendra des mesures pour la fixer. L’orateur le met en scène, et engage avec lui un dialogue serré et pressant qui rappelle celui de Pyrrhus et de Cinéas : « Je saurai, dit-il, profiter de l’exemple des autres; j’étudierai le défaut de leur politique. — Folle présomption! Car ceux-là ont-ils profité de l’exemple de ceux qui les précèdent ? — Mais je jouirai de mon travail. — Eh quoi! pour dix ans de vie ! — Mais je regarde ma postérité et mon nom. — Mais, peut-être, ta postérité n’en jouira pas ; mais ce qu’il y a d’assuré, c’est la peine de tes rapines, la vengeance éternelle de tes concussions et de ton ambition infinie ! » Est-ce à Mazarin, est-ce à Fouquet que Bossuet pensait dans cette invective