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intérêt à établir ces différences, car dans toute analyse psychologique la précision de la langue est indispensable.

Quelque intéressante que soit l’étude de la peur, elle n’a guère été faite jusqu’à présent d’une manière méthodique. Bien que des observations ingénieuses se trouvent dans l’œuvre des psychologues ou moralistes, il semble que les philosophes, d’une part, et les physiologistes, de l’autre, aient, bien à tort, suivant nous, négligé cet humble sentiment. Si humble qu’il soit, il est très humain, et, à ce titre, il doit intéresser l’homme. On ne peut guère mentionner sur la peur qu’un ouvrage de M. Mosso[1]. Le savant physiologiste italien a écrit sur ce sujet un livre très instructif ; et l’étude physiologique qu’il a donnée est excellente quant aux phénomènes physiques de la peur ; mais le point de vue auquel nous nous placerons ici sera différent. C’est surtout la psychologie générale que nous aurons en vue, et les relations de l’homme avec l’animal.

En un mot, nous étudierons les effets et les causes de la peur chez les êtres sensibles, qui tous, à des degrés divers, semblent capables de ressentir cette émotion protectrice.


II.


Il s’agit d’abord de bien connaître les signes de la peur et les phénomènes physiques qui l’accompagnent. Pour l’homme, le témoignage de la conscience suffit. La peur chez lui peut être tout intérieure et ne se traduire par aucun signe apparent. Tel individu a éprouvé silencieusement une grande terreur, et rien n’a trahi son émotion : il pourra cependant, à quelque temps de là, faire le récit de ses sentimens et nous mettre au courant de son trouble intérieur.

Mais, pour les animaux, il n’en va pas de même. Si rien, dans leurs réactions, leurs gestes, leurs attitudes, ne manifeste ce qu’ils éprouvent, nous en sommes réduits à l’ignorer. Leur seul langage, c’est leur attitude. Aussi, pour connaître les agitations de leur conscience, force nous est d’avoir recours aux signes extérieurs qu’ils en donnent. Et alors c’est par analogie seulement que nous pouvons conclure. Mon cheval tout d’un coup dresse la tête, abaisse les oreilles, fait un écart, et se met au galop. Un linge blanc était devant lui, et je conclus qu’il a eu peur de ce linge. Ai-je le droit de tirer cette conclusion ? Pour l’affirmer, pour être certain en toute

    peur, extension légitime d’ailleurs, qui montre à quel point une émotion simple et naturelle va servir de point de départ à l’explication d’émotions plus complexée.

  1. La traduction française a paru il y a quelques jours, 1 vol. in-12 ; Alcan, 1886.