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el-lhehyn (cyprinum), el-bouka (murex) et autres. En résumé, dit l’auteur du Rodh-el-Kartas, l’Oued-Fès est supérieur aux autres rivières du Maghreb par ses bonnes et utiles qualités. » Mais après ce résumé, il nous donne encore un détail précieux : «Ce qui distingue Fès des autres villes, dit-il, c’est que les eaux de ses fontaines sont fraîches en été et chaudes en hiver, tandis que celles de la rivière et des ruisseaux, qui sont froides en hiver, sont chaudes en été, de sorte qu’en toute saison on a de l’eau froide et de l’eau chaude à volonté pour boire, faire des ablutions et prendre des bains. »

Pour le coup, ce dernier renseignement est absolument faux! L’eau de Fès, qu’elle provienne des fontaines ou des rivières, est froide en hiver et chaude en été. Aussi contribue-t-elle à rendre le climat de la ville singulièrement désagréable. Il n’en est pas de plus malsain. En plein mois de mai, par les journées les plus brûlantes, nous avions peine à supporter l’excessive humidité dont étions enveloppés. M. Henri Duveyrier, qui faisait chaque jour des observations météorologiques, ne trouvait presque pas de différence entre le thermomètre sec et le thermomètre humecté. Nous étions dans une atmosphère saturée d’eau, dans une étuve véritable. Aussi nous réveillions-nous chaque matin tout mouillés dans nos lits. Les murailles de nos maisons étaient profondément salpêtrées; on les avait recouvertes, pour nous recevoir, de beaux haïtis en velours et en soie, que j’ai décrits : ils étaient neufs à notre arrivée ; à notre départ, ils étaient moisis. Il paraît qu’en été l’humidité est plus intolérable encore. Sous prétexte de rafraîchir l’atmosphère, on lâche l’eau dans tous les jardins, qu’enveloppe incessamment une sorte de buée chaude que les indigènes peuvent seuls trouver de leur goût. Au printemps, les orages sont fréquens à Fès. Nous en subissions un presque tous les soirs durant notre séjour. Au reste, c’est peut-être à ces conditions climatologiques, qui nous ont paru pénibles surtout parce que nous ne nous attendions pas à les rencontrer en Afrique, et que nous vivions sur la légende du Maroc, pays d’Orient, c’est à cela peut-être que Fès doit la beauté vraiment éclatante de ses jardins. A cet égard, l’enthousiasme de l’auteur du Roudh-el-Kartas n’est pas trop exagéré, et il est presque dans le vrai lorsqu’il dit : « On trouve à Fès les plus belles fleurs et les meilleurs fruits de tous les climats. L’adaoua (le quartier) el-Kairouayn surpasse cependant l’autre adaoua par l’eau délicieuse de ses ruisseaux, de ses fontaines intarissables et de ses puits profonds; elle produit les plus savoureuses grenades au grain jaune du Maghreb, et les meilleures qualités de figues, de raisins, de pêches, de coings, de citrons et de tous les autres fruits d’automne. L’adaoua el-Andalous, de son côté, donne les plus beaux fruits d’été, abricots,