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défendez-les contre leurs ennemis, dispensez-leur les choses nécessaires à la vie, et détournez d’eux le glaive du malheur et des dissensions, car vous êtes puissant sur toutes choses ! » Nobles vœux qui ont été exaucés, puisqu’à l’heure actuelle Fès est encore un des meilleurs refuges du sonna et de la prière, un des derniers et des plus résistans boulevards de l’islamisme.

J’emprunte tous les détails que je viens de donner au Roudh-el-Kartas (le Jardin des feuillets), qui est la source la plus précieuse de renseignemens sur l’histoire de Fès. On ne saurait mettre en doute la parfaite exactitude de ce livre, destiné à faire connaître la vérité sur la ville sainte à tous les esprits curieux « aussi longtemps, — comme dit en son style l’auteur de ce jardin historique, — aussi longtemps que les teintes variées de l’aurore coloreront le vêtement de la nuit, et que les oiseaux chanteront et gazouilleront sur les arbres. » Ce livre nous apprend sur Fès bien d’autres détails intéressans. Et d’abord, il nous fait savoir qu’il faut cinq choses à une ville, « à ce qu’ont dit les philosophes, » pour être réellement agréable: eau courante, bon labour, bois à proximité, constructions solides, et un chef qui veille à sa prospérité, à la sûreté de ses routes et au respect dû à ses habitans. Aucune de ces cinq qualités n’ayant jamais manqué, paraît-il, à Fès, les philosophes ont toujours dû reconnaître en elle la reine des cités. Sa grande supériorité vient surtout de son eau, qui réunit en elle les dons les plus exquis. L’Oued-Fès, qui se nomme aussi l’Oued-Djouari, ou le ruisseau des perles, sans doute à cause de tous ses mérites, « partage la ville, dit l’auteur du Roudh-el-Kartas, en deux parties, donne naissance, dans son intérieur, à mille ruisseaux qui portent leurs eaux dans les lavoirs, les maisons et les bains, et arrosent les rues, les places, les jardins, les parterres, font tourner les moulins et emportent avec eux toutes les immondices. » Ce dernier détail est d’une parfaite exactitude. Fès n’est pas, comme Damas et Constantinople, remplie de chiens chargés de l’entretien de la voirie ; ce soin n’y est pas, comme autrefois au Caire, à la charge du soleil, qui pénètre mal, d’ailleurs, dans ses rues trop étroites, ou à la charge des aigles et des vautours, qui sont rares dans cette contrée. Le nettoyage public est expéditif et simple. Lorsque dans les rues, les boues, les charognes et les tas d’ordures se sont accumulés au point d’entraver la circulation, on ouvre les vannes qui retiennent l’eau de l’Oued-Fès, et on lâche la rivière à travers la ville. Elle descend en bondissant, en formant mille cascades sur les pentes abruptes, et emporte avec elle les amas d’immondices. Parfois elle emporte aussi des animaux vivans, des meubles, des marchandises; mais on ne s’en tourmente pas outre mesure. C’est en plein jour, au moment où l’action commerciale est la plus grande que l’on effectue