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sources de la rivière de Fès, qui jaillissent au nombre de plus de soixante, sur un beau terrain couvert de romarins, de cyprès, d’acacias et autres arbres. « Eau douce et légère, dit Ameïr après avoir bu à ces sources, climat tempéré, immenses avantages !.. Ce lieu est magnifique ! Ces pâturages sont encore plus vastes et plus beaux que ceux du fleuve Sbou ! » Puis, en suivant le cours de la rivière, il arriva à l’endroit où la ville de Fès fut bâtie ; c’était un vallon situé entre deux hautes montagnes richement boisées, arrosé par de nombreux ruisseaux, où tout paraissait disposé pour un bel établissement. Edriss-ben-Edriss donna l’ordre d’y élever la ville dont il se proposait de faire le siège de sa puissance. Comment lui assigna-t-il le nom de Fès, c’est ce qu’on ignore, puisqu’il ne savait pas lui-même que Mohammed avait décidé qu’elle s’appellerait ainsi. Les uns disent qu’un vieux solitaire chrétien lui ayant appris qu’il avait existé à la même place une ville détruite depuis dix-sept cents ans et qui avait porté le nom de Sêf, il voulut renouer le cours des âges et rendre à la nouvelle ville le nom de sa devancière ; les autres affirment qu’Edriss ayant pris part aux constructions, les maçons et les artisans lui offrirent un fès (pioche) d’or et d’argent, et que, les travailleurs répétant sans cesse entre eux : « Donne le fès ; creuse avec le fès, » le nom de Fès en serait resté à la ville. L’auteur d’un savant livre El-Istibsar-fi-Adjeïb-el-Amzar (Considérations sur les merveilles des grandes villes) rapporte qu’en creusant les premiers fondemens du côté du midi, on trouva un grand fès pesant 60 livres et ayant quatre palmes de long sur une palme de large, et que c’est cela qui fit appeler la ville Fès. Bien d’autres histoires de la même valeur sont racontées par des auteurs graves : grammatici certant ; mais mon opinion personnelle est qu’Edriss-ben-Edriss a obéi d’instinct aux volontés de Mohammed, dont le témoignage nous est parvenu par une chaîne d’irrécusables autorités. Quoi qu’il en soit de ce problème étymologique, au moment d’entreprendre les premiers travaux, l’iman Edriss leva les mains au ciel et dit : « Ô mon Dieu, faites que ce lieu soit la demeure de la science et de la sagesse ! Que votre livre y soit honoré et que vos lois y soient respectées! Faites que ceux qui l’habiteront soient fidèles au sonna et à la prière aussi longtemps que subsistera la ville que je vais bâtir ! » Et, quand celle-ci fut achevée, l’iman Edriss monta en chaire un jour de vendredi, et, levant encore les mains au ciel, il s’écria : « Ô mon Dieu, vous savez que ce n’est point par vanité, ni par orgueil et pour conquérir des grandeurs et de la renommée que je viens d’élever cette ville ! Je l’ai bâtie, Seigneur, afin que, tant que durera ce monde, vous y soyez adoré, que votre livre y soit lu et qu’on y suive vos lois, votre religion et le sonna ! mon Dieu, protégez-en les habitans, et ceux qui viendront après eux ;