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française, et le père Talon. Ils passèrent, avec lui, la nuit qui précéda l’exécution et l’accompagnèrent dans la chapelle où il devait se préparer à la mort. Le chevalier de Rohan demanda, après avoir parlé à Mme de Villars, qu’on lui donnât lecture de son arrêt, mais le greffier lui fit observer qu’il devait attendre la présence de ses deux coaccusés, pour qu’il ne fût fait qu’une seule prononciation. Comme il insistait, on consentit à lui lire son arrêt, qu’il écouta, à genoux, ainsi que le fit Mme de Villars ; ce qu’exigeait au reste la procédure criminelle du temps. En entendant le mot confiscation des biens, le chevalier de Rohan s’écria : «Que dira ma mère à la prononciation[1]? Puis ayant été informé que l’exécution ne devait avoir lieu qu’à trois heures, il dit en se tournant vers le père Bourdaloue : « Bon! mon père, j’ai encore du temps pour me réconcilier et m’entretenir avec vous. »

L’heure de l’exécution s’approchant, le bourreau entra dans la chambre du chevalier de Rohan et lui adressa ces paroles : « Monseigneur, vous plaît-il que je fasse ma charge? » Le chevalier lui ayant répondu : « Oui, mon enfant, » il lui mit la corde au cou. Rohan dit alors au bourreau : «Mon ami, je te pardonne ma mort ; me pourrais-tu bien couper le cou sans ôter mon justaucorps? » l’exécuteur lui répondit affirmativement et lui demanda s’il voulait qu’on lui liât les mains avec un ruban de soie. Le chevalier répliqua que, Notre-Seigneur n’ayant été lié qu’avec des cordes, il ne méritait pas d’autres liens. Après quoi, il pria son confesseur de ne plus le quitter, fit ses adieux à tous ceux qui étaient présens et qui fondaient en larmes, demandant pardon aux personnes qu’il croyait avoir offensées, puis marcha courageusement au supplice.

La place où s’accomplit l’exécution, avait été occupée, dès le matin, par des mousquetaires et des gardes du roi. C’était le mardi 27 novembre 1674. Toutes les rues et les avenues qui conduisaient à la Bastille étaient gardées par des cavaliers. Trois échafauds avaient été dressés au milieu du vaste espace que présentait la rue Saint-Antoine, en face de la Bastille, auprès du couvent des religieuses de Sainte-Marie. Une foule immense se pressait pour assister à ce triste spectacle.. Des individus avaient établi des amphithéâtres, devant, les maisons, des deux côtés de la rue.. Toutes les fenêtres et les balcons furent remplis, de bonne heure, d’un grand nombre de personnes de distinction.

  1. Beauvau nous dit que le chevalier de Rohan ne témoigna de sensibilité que sur cet article, craignant que sa mère ne tombât dans la dernière nécessité, de quoi on le rassura sur la bonté du roi.