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mort de Rohan, Préau et Mme de Villars, comme coupables du crime de lèse-majesté. Cependant, il n’y avait eu au fond dans le complot que des projets qui n’avaient point reçu encore d’exécution ; mais, dans la jurisprudence criminelle du temps, les seuls projets étaient réputés suffire pour établir le crime de lèse-majesté.

M. de Pommereu appuya ces conclusions rigoureuses, sauf en ce qui touchait le chevalier de Rohan, qu’il regardait comme étant aliéné d’esprit. Il ajoutait que « l’égarement du chevalier de Rohan n’était pas nouveau, qu’il était produit par une mélancolie noire qui l’avait banni du monde, longtemps avant qu’il eût eu aucun commerce ni aucun engagement avec les conjurés, qu’aucunes lois n’imputaient à ceux qui sont dans cette espèce de démence, les actions qu’ils peuvent commettre. » Puis, voyant que son avis n’était pas partagé, ce conseiller conclut à la mort, avec appel à la clémence royale.

Louis XIV fit examiner de nouveau l’affaire, dans un conseil qu’il présida lui-même. Les amis de la famille de Rohan agirent finalement en faveur du chevalier. Le roi avait appelé à ce conseil le prince de Condé, le maréchal de Villeroi et Le Tellier, alors ministre d’état. Il demanda à chacun son avis, après leur avoir annoncé qu’il était prêt à user de clémence, surtout à l’égard du chevalier de Rohan, s’il le pouvait faire sans blesser la majesté royale ni les lois de l’état. Condé, qui avait des raisons personnelles pour ne pas se montrer bien sévère envers ceux qui tendaient la main à l’étranger, opina pour qu’il fût fait grâce au chevalier de Rohan, dont les projets étaient, disait-il, chimériques. « Rohan n’avait, remarquait le prince, connu dans le complot que ce qui touchait à son établissement en Bretagne à l’aide des Espagnols et des Hollandais. » Villeroi se prononça dans le même sens. Il rejeta tout sur Latréaumont et les autres complices. Le Tellier fut d’un avis tout contraire ; il réclama avec force un châtiment exemplaire pour tous les coupables, insistant sur le danger que le roi et le royaume avaient couru. Il soutint que la conduite du chevalier de Rohan, dans toute cette affaire, ne décelait nullement une aliénation d’esprit.

En présence de ce partage d’opinions, Louis XIV se trouva fort perplexe. D’une part, il inclinait pour la clémence à raison de l’attachement qu’il avait pour la maison de Rohan ; de l’autre, il craignait, en faisant grâce au chevalier, de nuire à la sécurité de l’état et d’être taxé de faiblesse, comme le lui représentait Le Tellier. Il ordonna qu’il fût sursis à l’exécution. On crut alors, à la cour, que la cause du chevalier était gagnée. Mais les ministres continuaient à insister pour que la condamnation eût son plein effet. Ils s’alarmaient d’une clémence qui irait à l’encontre de tout ce qui avait été fait, sous le précédent règne et depuis, pour relever la couronne