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certain nombre de personnes, attachées aux Rohan et qui cherchaient à leur plaire. Le chevalier de Rohan s’adressa plusieurs fois directement au roi pour se justifier; Louis XIV le renvoya constamment à son ministre, qui, de son côté, le rebutait toujours. On accusa, à cette occasion, Louvois de vouloir se venger du chevalier et de chercher, en perdant celui-ci, à donner une preuve publique de sa propre puissance, de façon à imposer à ses ennemis, dont le nombre grossissait chaque jour. Le maréchal de Turenne, dès ce temps-là, commençait à se plaindre hautement de la conduite du ministre à son égard. Quoique Mme de Montespan n’eût pas répondu jadis à la passion qu’avait conçue pour elle le chevalier de Rohan, elle se montra fort affectée de sa condamnation, mais, nous dit La Fare, elle n’eut pas le courage de demander sa grâce.

On n’épargna pas aux accusés les cruautés de la procédure criminelle du temps ; ils subirent la question ordinaire et extraordinaire[1]. Déjà, ils avaient été soumis à l’interrogatoire sur la sellette, qui était presque une torture. Le chevalier de Rohan s’y comporta bravement. À cette occasion, d’Hocquincourt, évêque de Verdun, écrivait à Bussy-Rabutin : «Le chevalier de Rohan a été sur la sellette, avec un habit neuf et la meilleure mine du monde; il ne croit pas mourir[2].» La question que devaient endurer les prévenus augmentait la compassion qu’inspirait aux âmes sensibles le sort du chevalier de Rohan. « Ce qui me paraît digne de pitié, ajoutait à son sujet l’évêque de Verdun, c’est qu’on croit qu’il aura la question; car, à mon gré, les tourmens sont pires que la mort. » La torture qui fut infligée aux prévenus était celle des brodequins. Elle consistait à placer les jambes dans des étaux où l’on insérait successivement des coins, de façon à augmenter progressivement la compression des membres. Les malheureux paraissent avoir supporté ce supplice avec courage; il ne leur arracha aucun nouvel aveu, car ils déclarèrent n’avoir rien à ajouter à leurs précédentes réponses. Il en fut ainsi également, pour la question préalable, qu’on infligea aux accusés, après la signification de leur condamnation à mort, en présence des deux commissaires, quelques heures avant l’exécution.

La Reynie, qui était alors lieutenant de police, fut choisi pour rapporteur dans l’affaire. Il conclut à ce que Van den Enden fût pendu, comme espion et coupable de crime d’état, et à la condamnation à

  1. Cette question, dont l’usage n’a été aboli qu’en 1780, ne doit pas être confondue avec la question préalable, à laquelle on ne soumettait que ceux dont la condamnation à mort avait déjà été prononcée, en vue de tirer d’eux de nouveaux aveux et de leur arracher le nom des complices qu’on leur supposait.
  2. Correspondance de Roger de Rabutin, comte de Bussy, avec sa famille et ses amis; édition Lud. Lalanne, t. II, p. 406.