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parlement, qu’il reconnut. Il lui demanda à prendre place près de lui, alléguant qu’il avait ordre du roi de se rendre dans le plus bref délai à Versailles, pour une affaire d’une haute gravité concernant les intérêts de l’état. Le conseiller accéda à sa requête. Nous raconterons plus loin comment le jeune gentilhomme fut reçu par Louvois. Disons seulement ici que le ministre ordonna à la police d’observer attentivement tous ceux qui passeraient sur les routes, avec le signalement de Van den Enden. Catherine Medaëns, qui avait quitté la maison de Picpus, fut aperçue dans une des rues du faubourg Saint-Antoine. Remarquant qu’elle était observée, elle se jeta dans un carrosse de louage, sans pouvoir dépister le major Brissac, qui surveillait alors, avec quelques gardes, le quartier et qui la suivit : celui-ci prit, avec Du Cause, un autre carrosse, pour la filer, comme on dit en langage de police. Elle fut arrêtée au Bourget, dans une hôtellerie, où elle avait donné rendez-vous à son mari. On découvrit les deux époux dans une des chambres hautes de la maison ; ils y étaient occupés à préparer leur déguisement. Du Cause servait, en ce moment, de guide à Brissac et à ses hommes. «Lorsque nous entrâmes, écrit-il dans ses Mémoires, leur surprise fut extrême et ma peine ne fut pas médiocre. Il crut d’abord, en me voyant entouré des gardes du roi, qu’on m’avait arrêté comme son complice, et il n’oublia rien pour persuader à l’officier que jamais il ne m’avait fait aucune confidence de ses desseins, et que je n’y avais jamais trempé ; qu’au contraire je lui avais paru fort zélé pour le roi et en avais toujours parlé avec des sentimens pleins de zèle et de tendresse. Il avoua ouvertement son crime. » Chose digne de remarque : malgré l’émotion profonde que dut causer à Van den Enden son arrestation, sa pensée se reporta immédiatement sur ce qui avait fait l’objet principal de ses études chimiques, la confection des cosmétiques, et voici ce qu’ajoute Du Cause dans le récit que nous venons de lui emprunter. « Cependant, sans se troubler et sans marquer le moindre effroi, il tira de sa poche une boîte qu’il me pria d’accepter, parce qu’il voyait bien, disait-il, qu’elle ne devrait à l’avenir lui être d’aucun usage et que j’en pourrais profiter à l’âge où j’étais. Il l’ouvrit et nous fit voir une poudre dont elle était pleine, assez ressemblante à la fleur de soufre. Elle n’avait nulle odeur. Pour m’en montrer l’effet, il en mit fort peu, avec le bout du doigt mouillé, sur le revers de sa main, qu’il frotta légèrement avec l’autre main, et la peau en devint, dans le moment, d’une beauté surprenante. C’est, dit-il, un secret pour embellir le teint des dames; puisse-t-il vous être utile, puisqu’il faut maintenant que j’y renonce! » Du Cause accepta la boîte et admira le sang-froid du médecin flamand. Les deux époux furent bientôt séparés ; ils ne