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existence interlope. Quelque temps avant la conspiration, il était venu habiter Paris, où il entretenait des relations avec des Hollandais et tenait souvent des propos séditieux ; il accusait le roi de tyrannie et de viser à des conquêtes injustes. C’était un homme fait pour entrer dans une entreprise telle que celle qui se tramait, et Latréaumont se l’était associé sans peine. Une fois affilié au complot, Condé avait travaillé à se faire admettre dans les gardes du roi, pour mieux faire son coup, disait-il imprudemment à ses amis. Il comptait sur l’appui de son ancien général, le maréchal de Luxembourg, qui l’avait naguère employé à racoler des hommes pour la compagnie des gardes, dont il était le commandant. Cet aventurier fréquentait les abords du Palais, près duquel il avait demeuré, à l’auberge du Cygne, rue Calandre. Il lisait à haute voix à ceux qu’il hantait les gazettes de Hollande et de Bruxelles et ne manquait jamais de contredire tout ce qui était favorable au roi, prenant constamment le parti des ennemis. Quelquefois, il copiait, pour les répandre, des articles de ces gazettes. Au moment où un mandat d’amener avait été lancé contre Latréaumont, Condé se trouvait en Normandie. Il s’était hâté de revenir à Paris et fut arrêté, à l’auberge du Ciseau d’or, rue de la Harpe, par les gardes de la prévôté de l’hôtel, que commandait Benjamin Tournier, sieur de Rosne, capitaine-lieutenant auxdites gardes. Mais ce ne fut pas sans résistance de sa part. En sa qualité d’ancien militaire, Condé s’arrogeait le droit de porter l’épée, et il se servit de son arme pour se défendre contre les gardes de la prévôté ; il fut soutenu par l’un de ses compagnons, le sieur La Garenne, qui portait aussi l’épée. Les deux récalcitrans furent conduits à la Bastille. Les papiers trouvés au logis de Condé furent remis au marquis de Seignelay. On espérait y découvrir des indications sur les intelligences de Condé avec les Hollandais ; mais on fut déçu, ces papiers n’avaient pas d’importance.

Latréaumont fut le seul qui échappa, en s’arrachant la vie, à la justice ; ses complices ne tardèrent pas à être sous les verrous. La capture la plus importante à faire était celle de Van den Enden, dont la police guettait le retour. Le médecin flamand, sans rien soupçonner de ce qui venait de se passer, rentrait en France, plein d’espoir et s’imaginant que tout marchait selon ses désirs. Il avait avisé, à Rouen, Latréaumont, par une dépêche chiffrée, du succès de la négociation près du comte de Monterey, des conditions que celui-ci acceptait, et de l’envoi prochain de 100,000 livres. La lettre était arrivée dans la capitale de la Normandie, sous le couvert d’un maître écrivain, nommé Chauvet, qui demeurait à Rouen vis-à-vis de la