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Une autre circonstance confirma Du Cause dans ses appréciations. La Gazette de France annonça, dans un de ses numéros, que le roi d’Espagne avait donné un régiment de cavalerie au marquis de Bayonne-Babet, l’association de ces deux mots parut singulière à notre jeune gentilhomme, car l’un et l’autre nom semblaient empruntés à ce qui se passait à la maison de Picpus. En effet, Du Cause, qui, comme nous l’avons rapporté, avait caché à son hôte sa famille et ses antécédens, s’était donné pour originaire de Bayonne, et le nom de Babet était celui d’une servante que la jeune fille dont Du Cause était épris chargeait de ses messages ; elle se présentait, pour ce motif, assez fréquemment à Picpus, et Van den Enden la connaissait fort bien. La coïncidence ne pouvait être fortuite, et cette association trahissait visiblement un mot convenu destiné à servir de signal à ceux qui étaient entrés dans le complot et se trouvaient alors en des lieux différens. Il n’y eut plus de doute à cet égard, dans l’esprit du jeune gentilhomme, après qu’il eut reçu la réponse de quelques-uns de ses anciens frères d’armes auxquels il s’était adressé, pour éclaircir la prétendue nouvelle. Ceux-ci lui avaient déclaré qu’il n’avait jamais existé, à l’armée de marquis de Bayonne-Babet : le nom était donc une pure fiction. Le pensionnaire de Picpus manœuvra alors de façon à pénétrer plus avant dans le mystère, ce que lui rendit facile sa présence constante dans l’intérieur où il avait été admis. L’attachement que Du Cause gardait à celle avec laquelle il entretenait, par la femme de chambre Babet, une correspondance amoureuse, ne l’avait pas empêché de faire la cour à la fille que Van den Enden avait près de lui, la jeune Marianne, assez agréable personne, mais qui avait plus de beauté que d’esprit. Dans l’espoir, peut-être, de trouver chez son jeune pensionnaire un époux pour sa fille, le médecin flamand avait favorisé ce commencement de relations galantes. Quoique sachant que Du Cause avait une affection ailleurs et entretenait avec une autre jeune fille un commerce de lettres, Marianne ne repoussa pas ses propos galans, qu’elle avait, au reste, elle-même provoqués. Du Cause profita de l’intimité qui s’était ainsi établie peu à peu entre lui et Marianne, pour suivre les menées de Van den Enden. La jeune fille n’était pas dans le secret de son père et, sans défiance, elle rapportait à son amant de rencontre, qui ne manquait pas de l’interroger, tout ce qui se passait sous ses yeux. Du Cause alla jusqu’à aposter la jeune Marianne pour qu’elle pût écouter, en vue de le lui dire, une de ces conférences qui se tenaient entre son père, Rohan et Latréaumont. Mais la jeune fille n’entendit qu’imparfaitement ce dont s’entretenaient les trois interlocuteurs. Comme elle avait l’oreille plus fine pour ce qui intéressait ses