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avaient sur les autres cet avantage que leur crédit était intact et que, n’ayant pas été encore invoquées, elles n’avaient pu tromper personne. C’est ainsi que tous les cultes étrangers sont entrés à Rome ; et Constantin, en cherchant un appui hors de la religion officielle, suivait l’exemple des premiers adorateurs d’Isis et de Mithra. Qu’on se rappelle ce qui a été dit plus haut de sas premiers rapports avec le christianisme et de la prévention favorable qu’il avait prise pour lui dès sa jeunesse, et l’on comprendra sans peine qu’étant en quête d’un dieu nouveau, il ait eu l’idée d’implorer celui des chrétiens.

Ainsi cette première partie du récit d’Eusèbe est fort vraisemblable, et rien ne nous empêche de croire que les choses se soient passées comme il les raconte. Quant à l’autre, c’est-à-dire à l’apparition et au songe, je n’en veux rien dire ; ces incidens miraculeux échappent à la critique, et ils ne sont pas du domaine propre de l’histoire. Chacun peut donc croire à son gré ou que les faits rapidités par Eusèbe sont vrais, et nous avons affaire alors à de véritables miracles ; ou qu’ils ont été entièrement inventés pour donner plus d’importance à la conversion de l’empereur, en montrant l’intérêt qu’y prenait le ciel ; ou bien enfin, ce qui me parait de beaucoup l’hypothèse la plus probable, que Constantin a pu être trompé par son imagination crédule, qu’excitait encore l’attente d’un grand événement, qu’il a pris pour un signe manifeste de l’intervention divine ce qui n’était qu’un caprice du hasard, et que ces apparitions confuses qu’il a cru voir au premier moment se sont plus tard précisées peu à peu dans son esprit, car il arrive ordinairement que, tandis que le temps affaiblit les souvenirs réels, il donne un corps et une figure aux fantaisies et aux rêves. Quoi qu’il en soit, ce sont des faits, je le répète, qu’il est inutile de discuter, et au sujet desquels il faut laisser chacun libre de penser ce qu’il lui plaira. Je voudrais seulement faire une remarque que me suggère la façon dont Eusèbe nous les a présentés. Il me semble qu’ils ont chez lui une couleur particulière et que la narration qu’il en fait se ressent des habitudes d’esprit et des préjugés d’un païen de Rome. Le Romain est de sa nature méfiant, il craint par-dessus tout d’être trompé. Dans ses croyances religieuses, aussi bien que dans les autres affaires de la vie, il entend n’être pas dupe. Sans doute il croit, comme les chrétiens, que Dieu parle directement au cœur de l’homme, et, quand il lui vient une soudaine inspiration dont la source lui est inconnue, il est d’abord tenté de la rapporter à quelque puissance divine :

Di ne hunc ardorem mentibus addunt,
Euryale ?