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miraculeuse. Commençons par nous occuper de la première partie, qui, à mon sens, ne peut donner lieu à aucune objection sérieuse.

On se figure aisément en quelle disposition d’esprit devait être Constantin au moment où il se dirigeait sur Rome et quand allait se livrer celle bataille où il jouait toute sa fortune. Il n’avait eu encore affaire qu’à des barbares ; il allait pour la première fois combattre des Romains. L’armée de Maxence était nombreuse et vaillante. Elle se composait des prétoriens, soldats d’élite qui formaient la garnison de Rome, et d’excellentes troupes qu’il avait tirées de l’Afrique. Elle avait vaincu deux empereurs et repoussé toutes les tentatives qu’on avait faites pour envahir l’Italie. Il était naturel que Constantin, au moment d’en venir aux mains avec elle, ne fût pas tout à fait rassuré sur l’issue du combat. Mais je suppose qu’il éprouvait aussi des inquiétudes d’une autre nature. Nous avons vu que, comme tous les gens de cette époque, il croyait à la magie et craignait fort les sortilèges. Or le bruit s’était répandu que Maxence essayait d’engager les dieux dans son parti par toute sorte d’invocations et de sacrifices. Les historiens contemporains, à quelque religion qu’ils appartiennent, s’accordent à raconter qu’il ne négligeait aucune pratique pour se les rendre propices, et qu’après avoir interrogé tous les devins et consulté les oracles de la sibylle, ce qui ne se faisait guère plus, il avait eu recours à des opérations abominables : on disait qu’il avait fait tuer de jeunes enfans et disséquer des femmes enceintes pour connaître l’avenir et s’assurer l’appui des divinités infernales. Que ces bruits nient ému Constantin, c’est ce qui ne peut pas nous surprendre : il n’y avait personne à ce moment qui n’en eût été troublé comme lui. Il pensa donc qu’il devait, lui aussi, se procurer une protection divine. Mais à qui devait-il s’adresser pour conjurer l’effet de ces maléfices ? Les dieux ordinaires devaient lui être suspects : n’était-il pas à craindre que Maxence, qui leur avait fait tant de prières et tant de promesses, ne les eût décidés en sa faveur[1] ? Il est naturel que Constantin, qui pouvait les croire prévenus contre lui, ait songé à demander des secours ailleurs. En le faisant, il était fidèle à l’esprit même et aux traditions du paganisme. Que de fois n’avait-on pas vu, dans des circonstances graves, quand les dieux qu’on avait coutume de prier paraissaient irrités ou impuissans, les dévots aller chercher au dehors des divinités nouvelles qui

  1. On peut soupçonner que Constantin avait quelques raisons d’en vouloir à ses anciens dieux, qui n’avaient pas encouragé son expédition contre Maxence. Un de ses panégyristes nous dit qu’il s’était mis en campagne malgré des auspices contraires, et qu’il avait quitté la Gaule contre le gré des haruspices, contra haruspicum responsa. Si les haruspices prévoyaient que ce voyage tournerait mal pour eux et pour l’ancienne religion, ils n’ont jamais été plus perspicaces.