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par une autre violation du traité à son profit. Elle a biffé d’un trait la disposition qui faisait de Batoum un port franc, qui avait été adoptée précisément sur les instances des plénipotentiaires britanniques, de lord Salisbury lui-même. C’est un peu une victoire de l’orgueil russe sur les Anglais, qui ont si complaisamment patronné la révolution bulgare et le prince Alexandre. L’acte est assurément hardi. Il ne semble pas devoir rencontrer une opposition bien vive de la part de l’Allemagne et de l’Autriche, et c’est ce qui peut en atténuer les conséquences. Il n’est pas sûr que l’Angleterre, quand elle aura retrouvé un gouvernement, en prenne si aisément son parti, d’autant plus qu’il y a aujourd’hui, entre les deux empires, une sorte de compte ouvert de querelles et de conflits. Ce qu’il y a de grave, en effet, c’est que cette affaire de Batoum n’est pas la seule. La Russie et l’Angleterre se rencontrent partout dans l’extrême Orient. Cette vieille question des frontières de l’Afghanistan, qui faillit, il y a quelques années, allumer la guerre, est loin d’être résolue. La commission anglo-russe chargée de la délimitation a été arrêtée dans ses opérations par des difficultés nouvelles, qu’un incident peut toujours aggraver. D’un autre côté, à l’extrémité des mers orientales, les deux puissances se retrouvent en antagonisme sur les côtes de la Corée. L’Angleterre, pour sa garantie, dit-elle, a occupé, d’abord temporairement, puis définitivement. Port-Hamilton ; la Russie, à son tour, a jeté son dévolu sur un point de la baie de Broughton qu’elle appelle Port-Lazaref. Ainsi partout on se rencontre. Il n’en faudrait pas sans doute conclure qu’on touche à des guerres nouvelles, à des conflagrations : reconnaissons seulement que de toutes parts s’agitent des questions qui peuvent prêter à des combinaisons infinies, à des rapprochemens inattendus, et bien heureux sont les peuples qui ont des gouvernemens assez prévoyans pour leur assurer un rôle dans ce mouvement universel !

Ce qu’il y a aujourd’hui de plus pressé pour l’Angleterre si vivement engagée dans ces querelles du monde, c’est de retrouver un gouvernement après l’épreuve électorale où vient de succomber M. Gladstone. Le dernier mot du grand scrutin qui a mis toute l’Angleterre en émoi, est irrévocablement dit en effet, tous les résultats sont connus. Le nouveau parlement compte 316 conservateurs, 76 libéraux « unionistes, » 192 libéraux fidèles à M. Gladstone, 86 Irlandais. En définitive, c’est le home-rule qui reste sur le champ de bataille. On a prêté un instant à M. Gladstone l’idée un peu singulière de ne pas se tenir pour battu, de se présenter devant le nouveau parlement et de ne rendre les armes que sous le coup d’un vote de défiance. M. Gladstone est évidemment un esprit trop sérieux et un parlementaire trop expérimenté pour jouer avec la vérité des choses. Il ne paraît pas avoir hésité à reconnaître sa défaite, sans attendre un congé signifié par