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pas, il est détruit. Or, la flottabilité de combat, jointe à la protection des organes, compose un ensemble indestructible.

Dans tout ce qui précède, l’éperon est regardé comme une arme de guerre redoutable, et sa puissance de destruction a été placée en tête pour le cas du coup droit. Il fut cependant question de la suppression de cet engin dans le travail qu’un ancien ministre de la marine a publié sous le titre : la Marine de guerre, son passé et son avenir. Les raisons qui sont invoquées contre le maintien de l’éperon sont d’abord qu’il est nuisible à la vitesse et ensuite que c’est une arme inefficace, les mouvemens de giration rapide devant rendre les chocs très rares et les réduire à des frôlemens. Il a été dit ensuite, mais par d’autres, que l’abordeur recevrait autant de mal qu’il en donnerait et qu’il faudrait porter sa masse à celle de l’abordé pour que l’effet fût complet.

La réserve de poids que fournit la flottabilité par le corps léger rendra facile l’augmentation de la machine, et, par suite, la compensation de la perte de vitesse provenant de l’adjonction de l’éperon. Mais quand il s’agit de pousser à fond l’examen du maniement de cette arme de guerre, il faut y introduire l’appoint des impressions des hommes qui ont passé par l’épreuve du commandement à la mer. L’ancien capitaine de vaisseau avait commandé seulement dans les arroyos de la Basse-Cochinchine ; mais le batelage n’est pas la navigation. Son ardent patriotisme et l’amour sincère et passionné qu’il portait aux choses de la marine ne pouvaient pas suppléer les ouvertures et les dégagemens que font dans l’esprit certaines heures du jour ou de la nuit où la concentration des facultés attentives devient extrêmement aiguë et pénétrante. Si, comme l’a dit M. Thiers, le plus bel exercice de la raison humaine est de la manifester rapidement et sainement au milieu du danger, on peut avancer qu’un atterrissage de nuit bien fait à un moment où d’ordinaire l’énergie se déprime, est une des manifestations les plus hautes du commandement d’un seul sur les autres, et aussi que le chef qui a manœuvré et évolué sous le feu de l’ennemi porte une empreinte ineffaçable dans la décision.

Ces considérations ne sont pas étrangères au maniement de l’éperon, car il faut bien convenir que le choc voulu et cherché a quelque chose de contraire à l’instinct naturel, qui, dans la navigation et la manœuvre, représente la collision des navires entr’eux comme un accident épouvantable.

Dans un voyage qu’il fit à Lorient vers la fin de 1881, l’auteur de la brochure la Marine de guerre visita le Turenne et entendit mes idées sur la flottabilité ; sans en tirer la conséquence que je signalais déjà dans mes notes, il en a soutenu le principe quelques mois plus tard. Je pensai, en 1885, que je pourrais aussi défendre