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inquiet, se disant à lui-même que le secours des hommes ne suffit pas quand on va tenter une fortune aussi incertaine, et qu’il n’est pas mauvais de se fortifier par un appui divin. Il lui revient alors à l’esprit que, de tous les princes qu’il a connusse seul qui ait joui d’une prospérité sans éclipse est son père, Constance, qui a protégé les chrétiens, tandis que ceux qui les ont persécutés ont presque tous fini misérablement. Ces pensers inclinaient déjà son âme vers le christianisme, et il demandait à Dieu de lui donner quelque signe visible qui pût tout à fait le décider. Sa prière fut exaucée : il s’était mis en marche avec son armée, lorsque, vers le milieu du jour, à l’heure où le soleil commence à s’incliner vers l’horizon, il vit dans le ciel une croix enflammée, avec ces mots : « Triomphe par ce signe. » Ses soldats la virent aussi, et comme on le pense bien, ils en furent très étonnés. Cependant l’empereur n’était pas entièrement convaincu, et il lui restait quelques doutes dans l’esprit, lorsque, pendant la nuit, le Christ lui apparut tenant à la main la même image qu’il avait vue dans le ciel, et lui ordonna de la placer sur un étendard qui devait être porté devant son armée dans les batailles. — C’est le fameux labarum, dont on voit des reproductions sur quelques monnaies de Constantin. — Ce récit, Eusèbe nous apprend qu’il le tient de l’empereur lui-même, qui lui en a garanti par serment l’exactitude.

Voilà donc à peu près ce qu’on devait raconter dans l’intimité de Constantin, vers les dernières années de sa vie, et ce qu’il racontait lui-même à ses familiers, quand il était en veine de confidence. Si de Lactance à Eusèbe le récit a subi d’assez graves altérations, s’il s’est surtout beaucoup accru, c’est qu’il est de la nature de ces sortes d’histoires qu’on y ajoute sans cesse. Quand on les redit souvent, on ne les redit pas de la même façon, et d’une fois à l’autre ils s’enrichissent toujours de quelque lait nouveau. Eusèbe est bien capable d’avoir trouvé tout seul ces embellissemens, mais je ne serais pas surpris que l’empereur y eût travaillé lui-même. Quoi qu’il en soit, nous avons là, à ce qu’il me semble, le récit officiel et définitif de la conversion de Constantin. C’est celui qu’ont adopté sans hésitation et sans défiance tous les historiens de l’église.


IV

Les autres, comme on devait s’y attendre, ont été plus réservés. Ils se sont demandé ce que l’on doit penser de tous ces prodiges et s’il faut tenir grand compte des affirmations de Constantin, même